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révolutionnaires, ce qui n’a rien d’étonnant, puisque la révolution est en permanence dans l’armée. Quelquefois le peuple est admis ou invité à unir sa voix à celle des soldats, à venir appuyer de son suffrage et de ses applaudissemens les généraux insurgés qui posent leur candidature à l’empire du haut de la tribune militaire : témoin l’assemblée que Julien convoqua à Paris, près des Thermes, lorsqu’il se déclara contre Constance. Il s’était composé un auditoire de plèbe et de soldatesque, dit Ammien Marcellin.

Le régime impérial avait donc modifié, mais n’avait pas détruit l’antique puissance de la parole, le rôle agissant et prépondérant de l’orateur politique. Jamais l’art de bien dire ne fut plus cultivé, et cet art n’était pas seulement la parure et l’amusement d’une société désœuvrée ; il continuait d’être un moyen d’influence et de gouvernement ; il dirigeait les assemblées, s’imposait à la force, tempérait et dominait le despotisme lui-même. Comme autrefois, il élevait aux honneurs, menait à la fortune et donnait la gloire. Mis en évidence par des documens nombreux et certains, ce fait, à son tour, nous aide à comprendre la situation florissante des écoles et des études sous l’empire, le goût passionné de la jeunesse pour la rhétorique, la célébrité de cet enseignement, l’essor d’activité littéraire qui s’est soutenu pendant quatre siècles, et dont on a si souvent décrit les effets sans en bien connaître la cause. Croire que cette ardeur et cette émulation des esprits ne tendaient qu’à briller dans une sorte d’éloquence officielle et académique, s’imaginer que tant d’écoles se sont fondées en Gaule, en Afrique et sur tous les points du monde romain, uniquement pour susciter et produire des panégyristes, ce serait une singulière méprise. Les élèves qui se pressaient au pied de la chaire des rhéteurs en renom étaient, pour la plupart, — Ausone le dit dans son Poème sur la Moselle, — des candidats à l’éloquence politique ; ils venaient se former à un art sérieux, s’exercer à des luttes difficiles où l’on se disputait les plus nobles prix qui puissent exciter l’ambition des hommes. Étudier l’éloquence était déjà une première distinction et comme un premier titre à la renommée ; ce titre, studiosus eloquentiœ, qui nous est indiqué par les inscriptions, se gravait sur la tombe des jeunes gens de grande espérance que la mort avait prématurément enlevés.

Les professeurs eux-mêmes, ces rhéteurs à la parole sonore, au style abondant et coloré, ces personnages qu’Ausone a si vivement décrits dans leur importance magistrale, et qu’il nous représente comblés de tous les dons de la fortune comme de toutes les faveurs des cités, la politique s’en emparait dès qu’ils s’étaient enrichis au barreau et distingués dans l’enseignement. Ils briguaient les