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l’intervalle, les anciens décurions s’étaient transformés en magistrats municipaux, « maires, échevins, jurats et capitouls, » absolument comme les sénateurs et les grands propriétaires du Ve siècle, en se mêlant aux ducs et aux comtes d’origine barbare, avaient contribué pour une bonne part à constituer la noblesse nouvelle qui fonda, quelques siècles après, le régime féodal.

Il existe donc une tradition de souvenirs, de principes et d’habitudes politiques qui passe du régime gallo-romain au moyen âge et qui les unit par un lien secret, mais certain : on l’aperçoit, on la devine à travers la confusion des événemens et la sèche obscurité des chroniques. D’un autre côté, les barbares ont apporté dans la Gaule quelques semblans d’institutions représentatives, d’antiques coutumes nationales semblables à celles que nous avons observées chez les Gaulois du temps de César. Ces coutumes germaniques entreront un jour dans l’organisation féodale, et, se réunissant ensuite aux souvenirs vivaces, aux débris subsistans du régime gallo-romain, formeront la base des institutions inaugurées par la monarchie française au commencement du XIVe siècle. Considérons maintenant ce second aspect de notre sujet et cet autre élément de l’ancien droit public de notre pays ; mettons en regard des conceptions savantes que nous venons d’examiner les rudimens grossiers d’une liberté primitive. Marquons les plus saillans caractères de ces assemblées des Francs où tant de publicistes ont placé les origines du système représentatif. Dans le vaste changement de scène que nous présente l’époque des invasions, une nouvelle espèce d’hommes s’est emparée du gouvernement des choses humaines : poussée par la loi mystérieuse du progrès, elle va commencer la longue série des évolutions et des expériences d’où sortira la civilisation moderne.


II

Un trait particulier du monde étrange et désordonné que nous décrit Grégoire de Tours mérite, avant tout, d’être signalé : cette barbarie conquérante, ivre de pouvoir et de butin, cette race, dont la victoire surexcite les instincts féroces et perfides, n’a point l’humeur silencieuse ; elle ne commet pas le crime avec une morne atrocité. Les passions indomptées qui l’agitent, les cupidités inassouvies, les colères, les haines implacables, toutes les énergies malfaisantes qui se remuent dans son sein, éclatent et se répandent en paroles fougueuses, en saillies violentes ; les scènes de meurtre et de pillage qui remplissent son histoire sont coupées de dialogues,