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rois. » Quoique la nature presque seule parle en ces harangues primitives, et que l’inspiration personnelle y soit toute l’éloquence, leur brièveté forte et sensée dit bien ce qu’elle veut dire ; les principes de l’art y sont parfois devinés et appliqués, la simplicité un peu nue du style est relevée par un accent de bonhomie malicieuse et par certaines familiarités pittoresques dont les harangues de Henri IV continueront la tradition. Baudouin Ier, empereur de Constantinople, marchant contre les Bulgares, crie à ses chevaliers : « Que chacun de vous soit un faucon et que nos adversaires ne soient que des éperviers bâtards. » Villehardouin, présent à la bataille, fait aussi son discours : « Souvenez-vous des preudhommes anciens cités dans les histoires ; celui qui mourra pour Dieu aujourd’hui, son âme s’en ira toute fleurie au paradis. » Une mâle concision, tempérée de courtoisie, comme dit le poète, et « de beaux mots polis, » caractérise presque toujours ces improvisations du champ de bataille. Roland, enveloppé par l’immense cavalerie des Sarrasins, rappelle aux siens en quelques vers énergiques les devoirs du loyal combattant, du vassal fidèle à son suzerain : « Pour son seigneur, dit-il, on doit souffrir grands maux, endurer le chaud et le froid, perdre de son sang et de sa chair. Frappez de vos lances, et je frapperai de Durandal, ma bonne épée, que m’a donnée le roi. Si je meurs, celui qui l’aura pourra dire qu’elle appartenait à un noble vassal ! » C’est dans l’un de ces généreux transports, dans l’ivresse d’héroïsme familière à ces bouillantes natures qu’Hugues de Belin, guerrier du cycle des « Loherains, » laisse échapper cette saillie d’éloquence admirablement exprimée par l’un des plus beaux vers de notre langue : « La vraie richesse, ce ne sont ni les belles fourrures, ni les étoffes précieuses, ni l’argent, les forteresses et les chevaux qui la donnent ; elle est tout entière dans la fidélité éprouvée d’amis intrépides : le cœur d’un homme vaut tout l’or d’un pays. »

Ainsi parlaient ces barons des siècles de fer, ces hommes « au front hardi, » à l’âme impétueuse, dont la vie était emportée et dévorée par la passion de l’aventure et du danger. Les scènes orageuses des assemblées qui les réunissent et les mettent aux prises, soit pendant la paix, soit pendant la guerre, ont été vivement décrites dans les documens contemporains. Un parlement guerrier se tient d’ordinaire dès le matin, au lever du soleil, « après messe et matines, » dans le verger d’un château ou d’une abbaye, ou bien à cheval au milieu des champs. Le suzerain, roi ou chef d’armée, pose la question à débattre et déduit ses raisons ; quand il a fini, les barons prennent à leur tour la parole ; les répliques se croisent, les mots vifs, les gestes menaçans partent de tous côtés : ceux qui