monsieur Boileau, de l’Académie française, frère de monsieur Despréaux. Voici cette lettre :
M. de Corneille m’apprit hier que je vous ferais plaisir, monsieur, de ne pas mêler votre nom dans la petite vengeance que je cherche à prendre de l’insulte que monsieur votre frère m’a faite; et j’embrasse avec joie l’occasion que vous m’offrez de vous témoigner le respect que j’ai pour vous. Je vous envoie même les remarques que j’ai faites sur ses ouvrages, et vous prie, s’il m’est échappé quelque chose qui vous offense ou qui puisse l’offenser lui-même, de me faire la grâce de le rayer.
Les Satyres de M. Despréaux ont fait un si grand fracas, et tant de personnes capables de juger des belles choses leur ont donné leur approbation, que je serais aussi emporté que lui, si le peu qu’on y remarque de faible me faisait condamner tout ce qu’il y a d’excellent. J’avoue que la gloire qu’il prétend s’être acquise lui serait légitimement due si l’on acquérait une véritable gloire à faire beaucoup de mauvais bruit, mais pour un homme tel que M. Despréaux, qui, par la délicatesse de sa plume et par la beauté de son génie, pouvait s’attirer des applaudissemens sans restriction, c’est en avoir mal usé que d’avoir réduit tout ce qu’il y a de gens raisonnables à ne pouvoir faire l’éloge de son esprit sans être obligé de faire le procès à sa conduite. S’il est vrai que son génie soit si borné qu’il soit en pays perdu aussitôt qu’il est hors de la satyre, je consens qu’il n’en sorte point; mais vous savez, monsieur, qu’il y a bien de la différence entre satyriser et médire, reprendre et injurier, condamner des crimes et en commettre. Attaquer les vices dans tous les hommes, et faire des peintures de leur noirceur qui donnent de l’horreur à ceux qui, en faisant réflexion sur leur vie, s’en trouvent convaincus, c’est ce qu’on appelle une satyre ; mais déclarer ceux d’un particulier et décliner son nom pour le faire mieux connaître, c’est un libelle diffamatoire.
En vain M. Despréaux cherche des exemples pour autoriser ce qui n’en eut jamais. Si les Romains, qu’il cite dans un discours qu’il a fait sur la satyre, ont quelquefois nommé des gens connus, ils faisaient par prudence ce que fait aujourd’hui monsieur votre frère par le seul plaisir qu’il a de faire du mal. Ceux qu’ils décriaient étaient déjà décriés par les crimes qu’ils avaient commis et par les répréhensions qu’ils n’avaient pu éviter; et si l’on en faisait des portraits épouvantables, c’était pour effrayer la jeunesse qu’ils pouvaient séduire. Mais de tous ceux que nomme M. Despréaux, il n’y en a pas un que je connaisse (si l’on m’en excepte) en qui l’on ne trouve toutes les qualités pour faire d’aussi honnêtes et d’aussi habiles gens qu’il y en ait au monde ; et pour ceux que je ne connais pas, j’en juge favorablement par le mal qu’il ne peut s’empêcher de leur vouloir.