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pauvreté, veuves de fonctionnaires, toutes très intéressantes, brigueront les places de directrices. Mais aussi longtemps qu’on regardera les hauts postes de cet enseignement comme des secours à des personnes dignes d’intérêt, les congrégations, soumises à une hiérarchie sévère et à une direction clairvoyante, lutteront sans trop de désavantage. Aux premières déceptions qu’on rencontrera, une partie de la presse, s’en emparant et les grossissant, proclamera bien haut que cet enseignement, hors des mains du clergé, ne saurait réussir. La préparation du haut personnel est donc une des premières nécessités, et à ce point de vue nous approuvons la création, au moins pour un certain nombre d’années, d’une école pédagogique destinée à former des inspectrices et des directrices d’écoles normales[1]. Nul doute que cette école, placée en bonnes mains, n’obtienne un grand succès et n’attire une partie de ces jeunes filles de la bourgeoisie qui, par un louable amour du savoir et par une inclination instinctive pour l’enseignement, poursuivent leurs études et disputent les brevets aux institutrices de profession. A côté de ces jeunes personnes, l’école pédagogique admettra des institutrices déjà en fonctions et signalées parmi les mieux douées, ainsi que des maîtresses adjointes d’écoles normales. Au bout de trois ou quatre ans, quand un premier groupe d’élite aura été formé, l’école pourra sans inconvénient disparaître, laissant la place au personnel fourni par les écoles normales et par l’avancement.

On a souvent fait ressortir l’importance qu’a l’instruction des femmes pour notre pays, où la plupart des épouses ne vivent point de la même vie intellectuelle que leurs maris. Une autre raison, qu’on a moins fait ressortir, c’est qu’elle assure à un plus haut degré que celle des hommes la perpétuité des progrès accomplis.

Des érudits multiplient aujourd’hui les documens pour prouver qu’au moyen âge et sous la monarchie la France possédait de nombreuses écoles ; les uns citent le règne de Louis XIV, d’autres le XIIIe siècle et même le temps de Charlemagne. Mais s’il est vrai que l’instruction de ces écoles fût autre chose que la lecture des offices en latin ou une préparation à la cléricature, comment a-t-elle pu, à plusieurs reprises, se perdre presque absolument, et en particulier à la veille de la révolution ? Sir Arthur Young, dans ses Voyages en France, déclare que l’ignorance du peuple est honteuse, et le clergé de Paris hors murs, en ses cahiers, assure que l’éducation est dans le plus déplorable état. C’est que l’instruction n’était pas donnée aux femmes : une période de guerre ou d’appauvrissement suffisait pour arrêter la transmission des connaissances les plus

  1. Projet de loi de M. Chalamet, député.