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s’empressa d’aller lui porter une bourse de deux cents louis. Cette version, accréditée par le récit du fils de Boursault, a été contestée par les frères Parfaict. Comment croire, disent-ils, que Boileau soit parti pour les eaux de Bourbon sans se munir des sommes nécessaires au voyage? Et si la maladie l’a retenu plus longtemps qu’il n’avait pensé, comment admettre qu’il n’ait pas demandé de l’argent à Paris sans attendre la dernière heure? Laissons là ces détails, je veux dire ces misères; le récit du fils de Boursault n’est qu’un document de seconde main, le raisonnement des frères Parfaict n’est qu’une chicane. Voici cette piquante image : Boursault chez Boileau aux bains de Bourbon-l’Archambault, tracée de la main même de l’auteur des Satires. On la trouve dans une lettre qu’il adresse de Bourbon à Racine le 19 août 1687 : « M. Boursault, que je croyais mort, me vint voir il y a cinq à six jours, et m’apparut le soir assez subitement. Il me dit qu’il s’était détourné de trois grandes lieues du chemin de Montluçon, où il allait, et où il est habitué, pour avoir le bonheur de me saluer. Il me fit offre de toutes choses, d’argent, de commodités, de chevaux. Je lui répondis avec les mêmes honnêtetés, et voulus le retenir pour le lendemain à dîner, mais il me dit qu’il était obligé de s’en aller de grand matin : ainsi nous nous séparâmes amis à outrance[1]. » Une lettre écrite bien des années après complète pour nous ce renseignement sur la réconciliation des deux poètes. Brossette écrit à Boileau le 25 novembre 1701 : « On me mande la mort de M. Boursault arrivée au mois de septembre dernier. Il s’était réconcilié avec vous de fort bonne grâce, et voilà, je crois, un ami de moins<ref> Correspondance entre Boileau, Despréaux et Brossette, avocat au parlement de Lyon, publiée sur les manuscrits originaux par Auguste Laverdet, 1 vol. Paris, Techener, 1858, p. 95. </<ref>. »

A voir Boileau devenir si vite « l’ami à outrance » de Boursault, est-il permis de conjecturer qu’il n’avait pas attendu sa visite aux bains de Bourbon pour apprécier le talent et le caractère de ce galant homme? hélas! non ; sur ce point, les preuves décisives nous manquent. Pendant de longues années, les nouvelles éditions des œuvres de Boileau ont continué de reproduire le trait satirique de 1663 (satire III), aggravé d’une ironie plus vive encore en 1667 (satire IX) :

Puisque vous le voulez, je vais changer de style.
Je le déclare donc : Quinault est un Virgile,
Boursault comme un soleil en nos ans a paru...


C’est seulement après la visite de 1687 que le nom de Boursault disparut pour toujours des satires du poète. Boileau ne se souvenait

  1. Voyez Œuvres de Boileau avec un commentaire par M. de Saint-Surin, t. IV, p. 90-91.