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quelque sorte invisibles à l’extérieur. « Au silence qui se fait dans un œuf en incubation, dit Claude Bernard, que nous ne saurions trop citer, on ne pourrait soupçonner l’activité qui s’y déploie et l’importance des œuvres qui s’y accomplissent ; c’est l’être nouveau qui en sortant nous dévoilera par ses manifestations vitales les merveilles de ce travail lent et caché[1]. » Cela nous montre comment et pourquoi la vie est une création. L’idée et le mot n’appartiennent pas à la science du règne inorganique, où rien ne s’ajoute, où rien ne se perd. Ils forment le symbole le plus exact de la vie, où tout se crée et se perd incessamment. L’être vivant est essentiellement créateur. S’il reçoit du dehors les excitations, les impressions, ainsi que les élémens dont se compose sa matière élémentaire, c’est bien lui, et lui seul, qui fait l’œuvre de formation, d’organisation et de régénération ; il est le véritable et unique artiste, tout le reste n’entrant que comme matériaux et instrumens dans cette œuvre admirable. L’être vivant crée sa forme, son type, ses organes, ses fonctions. Si ce n’est pas là une création, il faut renoncer à en chercher le type dans le monde de la nature, où rien ne sort du néant.

Nous sommes loin de cette école qui cherche le secret de la vie dans les basses et obscures régions de la matière brute. C’est la flamme vitale elle-même qui sert de flambeau à la physiologie vitaliste pour découvrir le principe de la vie et la raison de ses attributs. C’est à sa lumière que nous allons observer ces caractères de spontanéité, d’unité, de finalité qui semblent autant d’illusions d’optique psychologique aux physiologistes mécanistes. Les deux vérités les plus solidement établies par la méthode expérimentale, c’est d’une part l’identité des élémens chimiques de la matière brute et de la matière vivante, d’autre part l’identité des conditions selon lesquelles se manifestent les phénomènes inorganiques et les phénomènes organiques. On a vu que tout le déterminisme de Claude Bernard est fondé sur cette dernière loi. Or il n’est pas nécessaire de faire un grand effort d’analyse pour se convaincre que ce double résultat des recherches de la science ne prouve absolument rien en faveur de la thèse mécaniste. Quand on nous dit que l’organisme des êtres vivans n’est qu’un laboratoire où tout se passe en combinaisons et en compositions des élémens matériels primitifs, on oublie que ce laboratoire est habité par un hôte intime, le principe vital qui ne fait qu’un avec les élémens en fusion. Ici la combinaison chimique ne se fait pas toute seule ; elle s’opère sous l’action d’une cause qui en transforme les élémens de façon à en faire un produit

  1. La Science expérimentale, p. 193, 194.