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devaient être emprisonnés aussitôt que l’opération de la mise sous scellés de toutes les collections serait terminée. Les délégués ignoraient ce fait qui avait été révélé aux conservateurs par un avis officieux. Aussi l’on traînait en longueur le plus que l’on pouvait ; gagner du temps c’était peut-être arriver à la délivrance. Tous les procès-verbaux existent. Dans cette tâche qui ne laissait pas que d’être assez longue, les délégués étaient assistés par un « commissaire de la sûreté générale, plus spécialement chargé du quartier Saint-Germain-l’Auxerrois, officier de police judiciaire, auxiliaire du citoyen procureur de la commune, » qu’il est inutile de nommer. Sous prétexte de remettre eux-mêmes le dépôt dont ils avaient la garde et d’assister, comme c’était leur devoir et leur droit, à la pose des scellés sur leurs collections, les fonctionnaires ne quittaient pas le Louvre qu’ils surveillaient ; M. Barbet de Jouy s’était, de sa propre autorité et avec l’assentiment des délégués, constitué gardien des scellés apposés sur les objets afférens à son conservatoire. Les délégués visitaient successivement toutes les salles et même les ateliers de moulage où ils recherchaient, — un peu naïvement, — les moulages de la colonne de la place Vendôme. Ils couchaient au Louvre et ne paraissaient pas toujours très rassurés, car je lis dans un journal que j’ai déjà cité : 10 mai. « Les citoyens administrateurs font changer la garde de nuit sous prétexte que les hommes désignés pour rester à leur poste n’ont point leur confiance. Ils ont, disent-ils, des notes sur tout le personnel, et ils ne veulent pour les garder que ceux dont ils sont sûrs. Le gardien F… est admonesté par eux pour avoir monté la garde à leur porte sans être agréé par eux. »

Le lundi 22 mai, on est réveillé au Louvre par le tocsin et par la fusillade. Des bandes de fédérés passent en désordre dans la rue de Rivoli. La France, précédée par le général Douay, rentre dans sa capitale, le carnaval rouge va prendre fin, les Allemands attentifs assistent, comme à un spectacle, à cet horrible combat. L’heure est solennelle et redoutable. Ceux dont le cœur n’est pas à la commune vont disparaître et abandonner la sinistre aventure dans laquelle ils se sont engagés ; si deux mois de défaites successives ne leur ont pas ouvert les yeux, ce suprême effort de la légalité qui vient châtier la révolte dans son dernier repaire ne peut leur laisser aucun doute. Que va faire M. Héreau ? « A dix heures, écrit le fonctionnaire attaché aux antiques et dont le nom avait été omis sur la liste de révocation, à dix heures la commission me fait demander. Je me rends au bureau de la direction, où M. Héreau, en présence de MM. D… O… père et D…, me dit que, si je désire rester au Louvre, je dois donner mon adhésion à la commune. Je lui réponds très nettement que je ne veux pas donner cette adhésion, mais que je resterai à mon poste jusqu’à ma révocation. M. D… méfait un long discours dans lequel il m’explique que la question a été mal posée par M. Héreau et qu’il ne s’agit pas de cela pour