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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/114

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résiste en face, il complote même contre lui et encourage un homme de cœur à prendre sa place.

Par-dessus tout, Apollonius est un dévot, un inspiré, un prêtre. Sa philosophie a pour conclusion et pour but la religion. « En quoi consiste votre sagesse ? lui demandait-on. — C’est la science des prières et des sacrifices. » Il regarde sa mission comme double ; il vient corriger les mœurs publiques et « enseigner à pratiquer plus religieusement les initiations et les rites sacrés, » et cette seconde partie de sa tâche lui paraît la plus importante. Sa religion n’a rien d’exclusif ; il respecte, on pourrait presque dire il pratique tous les cultes. « Mépriser une divinité quelconque est contraire à la sagesse ; il faut rendre des hommages à toutes, comme les Athéniens, qui ont élevé des autels même aux dieux inconnus. » Il pense en effet que le nombre des dieux est infini. « L’univers, dit-il, est comme un grand vaisseau qui n’est pas conduit par une seule personne. Il y a sur la terre, au ciel et dans la mer une multitude de puissances divines qui font tout marcher sous la direction du dieu suprême. » Pour lui, ce dieu suprême est le soleil. Telle est sa théologie, qui ne diffère pas beaucoup de celle des autres sages de son temps. Mais il la prêche avec une ardeur plus communicative et d’un ton plus convaincu. Partout où il passe il habite dans les temples ; c’est dans les temples aussi qu’il donne ses enseignemens. Il ne s’adresse pas seulement à la raison de ses auditeurs, les argumens et les preuves ne lui suffisent pas pour les convaincre ; il atteste aussi l’inspiration d’en haut. Il se regarde comme un messager des dieux, presque comme un dieu lui-même, et ne témoigne pas trop de surprise quand on lui rend des honneurs divins.

Ceux qui ont reçu du ciel une mission particulière doivent le prouver par des miracles : Apollonius n’y manque pas. Philostrate ne veut point admettre, comme le prétendait la tradition populaire, que son héros fût un magicien. Les magiciens sont, pour lui, des misérables qui, par des artifices secrets, se flattent de faire violence à la Divinité et de changer le destin. « Apollonius, au contraire, se conformait aux décrets de la destinée, il annonçait qu’ils devaient s’accomplir, et s’ils lui étaient révélés à l’avance, ce n’était pas par des enchantemens, mais par des signes où il savait lire la volonté des dieux. » Sa science lui venait donc des dieux eux-mêmes ; comme il était presque un des leurs, ils lui avaient accordé de prédire l’avenir, de voir ce qui se passait dans des contrées éloignées et de changer quelquefois l’ordre de la nature. Tout le monde fait des miracles chez Philostrate, et l’action de son roman se passe dans un véritable monde de fées. Les brahmanes, pour se