ardeurs de sympathie, cette tendresse passionnée qu’excitait Jésus ? Il faut avouer que, si Julia Douma a jamais cru que l’habile sophiste auquel elle commandait d’écrire la vie d’Apollonius allait créer un idéal supérieur à celui de l’Évangile, elle s’est bien trompée.
Le livre de Philostrate eut pourtant un grand succès. Il ne dut pas pénétrer beaucoup dans le peuple, mais, comme il était d’une lecture agréable, qu’il avait ce tour à la fois religieux et romanesque qui était à la mode dans le grand monde, il charma les lettrés. Il eut surtout ce résultat de ramener l’attention publique sur Apollonius, qu’on avait assez oublié, et de donner à ce charlatan une auréole de grandeur et de sainteté qu’il ne méritait pas. Avant que Philostrate eût composé le roman dont il est le héros, on ne parlait presque pas de lui ; après l’apparition de son livre, il devient un très important personnage. Le fils même de Julia Domna, Caracalla, lui élève un temple. Alexandre Sévère, comme nous l’avons vu, place sa statue à côté de celle de Jésus et d’Orphée dans sa chapelle domestique. Vopiscus raconte qu’Aurélien, irrité contre la ville de Tyanes qui lui avait fermé ses portes, voulait la détruire de fond en comble, mais qu’elle fut sauvée par Apollonius, qui apparut en songe à l’empereur et désarma sa colère. À ce propos l’historien, si calme d’ordinaire, laisse échapper une hymne de reconnaissance : « Y eut-il jamais un mortel plus saint, plus grand, plus vénérable, plus divin que lui ? Il a rendu la vie à des morts, il a fait des actions surhumaines, etc. » Et il promet d’écrire avant de mourir un abrégé de sa vie, « non pas, dit-il, que sa renommée ait besoin de ma plume, mais parce qu’il faut que les actions dignes d’admiration soient connues et célébrées par tout le monde. » Enfin, pendant la persécution de Diodétien, le célèbre gouverneur de Bithynie, Hiéroclès, publie un ouvrage contre les chrétiens, où il oppose Apollonius à Jésus et prétend prouver qu’il mérite plus que le Christ de recevoir les honneurs divins. À ce moment, le dessein de Philostrate est oublié, son livre est pris pour une histoire authentique, et personne n’en conteste la vérité. Il est admis des deux côtés qu’Apollonius faisait des miracles, seulement les chrétiens affirment qu’il ne les a faits que par le secours de l’esprit malin, et cette explication a paru si naturelle, si triomphante, que les théologiens même du xvir9 siècle, Tillemont et l’abbé Fleury, continuent à s’en servir. Avec un peu de critique, on pouvait aisément reconnaître que Philostrate n’a prétendu faire qu’un roman, que ses récits ne contiennent que des légendes populaires ou des inventions de rhéteur, ce qui aurait dispensé de déranger le diable pour si peu.
Tels sont les principaux ouvrages par lesquels le paganisme essaya de se défendre au IIe siècle ; ils ne lui furent pas d’un grand