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dont on s’est peu occupé jusqu’ici et qui sera peut-être la plus délicate à résoudre.

J’aurais été fort désireux de me risquer sur le problématique chemin de fer du Vardar et de tenter une reconnaissance dans ces curieuses montagnes. Mais une insurrection grave a éclaté depuis quelques semaines en Herzégovine ; on est sans nouvelles à Salonique, on ignore comment se développe et jusqu’où s’étend le mouvement. Dans ces circonstances, il faut renoncer à se diriger vers le nord. Je vais me rabattre sur l’Olympe et la Thessalie. De ce côté sévit un autre fléau : le brigandage, qui a repris depuis quelque temps avec une forte recrudescence. Mais, si ce fléau pèse lourdement sur les provinces qu’il désole, il est à peu près sans péril pour un voyageur prudent et au fait des habitudes du pays. Dans un conseil tenu avec M. Moulin et quelques amis expérimentés au sujet de mes plans, on décide à l’unanimité que je dois prendre le taureau par les cornes, c’est-à-dire engager comme drogman un ancien bandit, qui m’accréditera au besoin auprès de ses collègues. Aussitôt dit, aussitôt fait. On m’amène Capitan-Dimitri, vieux klephte à tête paterne, ex-chef de brigands retiré des affaires, qui vit de je ne sais quel commerce à Salonique ; il me mettra en bons rapports avec son confrère Sotiri, qui travaille maintenant dans l’Olympe. Nous sommes tombés d’accord sur les conditions ; mais ce matin, au dernier moment, le tendre bandit vient m’annoncer que sa sœur est gravement malade ; il a l’esprit de famille et ne peut se résoudre à partir dans cette inquiétude. Fort désappointé, je retourne en ville à la recherche d’un mentor et ne trouve sous ma main que le cafetier Christo, un honnête Grec dont le commerce ne marche pas, moins pittoresque, moins martial, mais qui a parcouru ces provinces, assure-t-il, et parle une demi-douzaine de langues. Je l’engage séance tenante, et il m’amène vers le soir la barque qui doit me transporter de l’autre côté du golfe. Faute de mieux, un riche négociant, qui a une exploitation forestière dans l’Olympe, me donne une lettre de recommandation pour Sotiri, au cas où je le rencontrerais sur mon chemin. M. X… l’a employé jadis dans son administration : maintenant encore, durant les mortes saisons de son métier, le partisan daigne surveiller l’exploitation des bois, empêcher les malhonnêtes gens et les gabelous de faire du tort au propriétaire ; ce serait, assure-t-on, le meilleur des intendans. — Tout ceci peut paraître paradoxal à distance : quiconque a vécu dans ce pays affirmera que ces faits répondent aux réalités quotidiennes.

Le vent fraîchit, la voile bat la rampe de la petite échelle devant la maison consulaire. Que de fois j’ai fait de ces adieux émus aux demeures hospitalières qui m’ont accueilli en pays lointain !