Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous osons le croire, elle n’aurait eu garde de se soustraire si on lui avait fait comprendre qu’il s’agissait pour elle de soutenir l’honneur musical de la France.

A côté des concerts du Conservatoire, on sait l’heureuse influence qu’ont eue sur l’éducation du goût public les concerts populaires dus à l’intelligente initiative de M. Pasdeloup. Leur succès désormais assuré montre ce que vaut une idée juste quand elle est poursuivie avec énergie et dévoûment. Après ces deux orchestrés, il convient de citer celui qui, consacré à l’exécution d’œuvres contemporaines, a, cette année même, sous l’habile direction de M. Colonne, fait brillamment ses preuves. Il en faudrait mentionner d’autres encore et, avec eux, les nombreuses sociétés de quatuors que nous possédons à Paris. Les unes sont déjà anciennes et réputées, comme celle des derniers quatuors de Beethoven, qui a révélé à l’Allemagne elle-même des œuvres que jusque-là elle avait jugées inexécutables. Des sociétés plus jeunes marchent dignement sur leurs traces ; d’autres enfin, ayant élargi le cadre ordinaire de ces sortes d’associations, peuvent, grâce à l’adjonction de pianistes, de chanteurs ou même d’instrumentistes plus nombreux, se mouvoir dans un cercle musical plus étendu et donner une grande variété à leurs séances.

Cet ensemble de ressources dont dispose la musique instrumentale ne laisse rien à désirer à Paris. Mais sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, hélas ! Paris c’est à peu près toute la France, et derrière une capitale qui regorge, un grand pays tout entier vit presque complètement privé des jouissances qu’il pourrait se donner. A part un très petit nombre d’exceptions, on se ferait difficilement une idée de l’extrême pénurie qui est le lot de la province, même dans quelques-unes de ses villes les plus importantes. Le compte ne serait pas long de celles qui possèdent un orchestre à peu près en état d’aborder, vaille que vaille, l’exécution des symphonies classiques. La plupart se ruinent à soutenir un théâtre auquel elles imposent l’obligation ridicule de jouer à la fois l’opéra, l’opéra-comique, le drame et la comédie, avec un personnel d’acteurs à plusieurs fins et forcément surmenés. Et notez que dans beaucoup de ces villes l’existence d’une modeste société de quatuors ne peut pas toujours être régulièrement assurée faute d’élémens suffisans, faute aussi parfois d’un auditoire assez nombreux.

De temps à autre, il est vrai, sous la conduite d’un entrepreneur de concerts et annoncée à l’avance par de pompeuses affiches, une de ces bandes de musiciens enrégimentés qui exploitent la France par tranches successives viendra s’abattre sur la cité déshéritée, et y suivre de point en point le programme formidable qu’elle a exécuté la veille et qu’elle exécutera le lendemain dans la ville la plus voisine. Il a été combiné avec soin pour satisfaire les goûts