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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/25

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nombreuses désillusions. Est-ce l’outrage des siècles qui a déshonoré les paysages tant vantés de la Grèce antique ? Est-ce la riche imagination des Hellènes qui les a parés de grâces absentes ? Ce n’est pas le lieu d’agiter cette question délicate. Toujours est-il que fleuves sans eaux, vallées sans verdure, montagnes sans forêts, autorisent souvent le voyageur, embarqué sur la foi des poètes, à murmurer le quidquid aadet Grœcia mendax. Ici du moins, et pour une fois, faisons à la Grèce, notre mère, une éclatante réparation. Elle est charmante, cette gorge de Tempé, encaissée entre ses deux murailles à pic, blottie sous les platanes, ombreuse et silencieuse. Le Salamvrias, ou plutôt le Pénée, — laissons-lui son doux nom d’autrefois, — court en chuchotant sous une arche de verdure continue ; le flot jaune et profond, refoulé dans ce lit étroit, ronge la pierre de la muraille de gauche. La route, telle que l’ont créée les Romains, serpente sur une mince corniche, au flanc de la muraille de droite. Souvent les parois de roches se dressent perpendiculairement à une telle hauteur que le jour descend à peine dans ces profondeurs. La gorge se prolonge sur une longueur de 4 à 5 kilomètres, véritable oasis dans le désert pour le voyageur qui arrive des croupes brûlées de l’Olympe ou des marais desséchés de la plaine de Larisse. Cette tranchée naturelle est due, on le constate au premier coup d’œil, soit à un cataclysme violent, soit à la lente action des eaux qui se sont frayé un chemin vers la mer en séparant par cette trouée le mont Ossa et le mont Olympe ; ils ne formaient qu’une seule chaîne continue aux époques géologiques où la Thessalie inférieure était un vaste lac, gardant les eaux du Pénée dans le bassin compris entre les monts Othrys, le massif du Pinde et celui de l’Olympe, terminé par le Pélion. La science moderne a établi tout ceci ; le vieil Hérodote, qui pressentait bien des choses, se l’était déjà laissé conter : « On dit de la Thessalie que jadis elle formait un lac… » — et le père des touristes ajoute, avec ce scepticisme discret et cette aimable ironie qui font si souvent penser au génie de notre Montaigne, — « les Thessaliens eux-mêmes rapportent que Neptune a fait le canal par où s’écoule le Pénée ; c’est assez vraisemblable, car pour qui croit que Neptune ébranle la terre et que les crevasses produites par les tremblemens de terre sont l’œuvre de ce dieu, il est visible au premier aspect que Neptune a fait le conduit ; en effet, il provient d’un tremblement de terre ; c’est du moins ce que j’ai pensé en voyant la séparation des montagnes. »

Bêtes et gens se plongent dans l’eau apollonienne et s’endorment au bruit d’une cascade dévalant des rocs. On déjeune d’une pastèque, et l’on reprend la route dont les lacets montent et descendent. D’un de ses coudes, on voit une dernière fois la nappe bleue lamée d’or du golfe Thermaïque, divinement encadré dans