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plus le moment d’être curieux de nouveaux visages et de nouvelles formes d’esprit, c’est plutôt l’heure de nous serrer davantage auprès de ceux que le temps nous laisse encore, qui ont pensé comme nous, combattu pour les mêmes causes, partagé les mêmes espoirs et quelquefois les mêmes déceptions et les mêmes tristesses. Chaque génération, à mesure qu’elle vieillit, est ainsi amenée de plus en plus à s’occuper avant tout d’elle-même, et ce n’est que raison. De qui attendrons-nous équité sinon de ceux qui, ayant fait côte à côte avec nous le voyage de la vie, n’ont aucun intervalle à parcourir pour rejoindre nos opinions, ni besoin d’aucun effort pour atteindre au secret de nos actions ?

C’est un devoir de cette sorte que nous voudrions remplir aujourd’hui envers un homme bien connu de tous nos lecteurs, et dont une longue fréquentation nous a appris à aimer la personne autant qu’à goûter l’esprit. Nous entreprenons d’autant plus volontiers cette tâche sympathique qu’en l’accomplissant il nous semble faire justice non à un seul écrivain de mérite, mais à une génération entière. La génération à laquelle appartient M. de Mazade n’a pas en effet été gâtée par le sort, et je doute que dans toute notre moderne histoire on en trouve une autre qui ait été aussi cruellement refoulée et inexorablement comprimée. Tout lui a été contraire, les événemens, les hommes, les nécessités sociales. Née, élevée et grandie sous la tutelle de régimes de sage liberté dont elle se promettait d’être l’héritière, elle essayait à peine ses premiers pas lorsqu’éclatait à l’improviste la révolution de février qui, la rejetant hors de la voie tracée d’avance toute grande devant elle, commença par dérouter la logique de ses plans. Sans renoncer à ses espérances, il lui fallut au moins les ajourner indéfiniment, et, tout étourdie du coup qui la frappait, chercher à ne pas errer à l’aventure au milieu de la mêlée confuse des partis, et à garder une attitude sagement expectante en face de l’obscurité des événemens. Chose mal commencée devant nécessairement mal finir, la révolution de février expirait au bout de trois années sous le coup d’état de décembre. A tout gouvernement qui s’établit il faut des acteurs nouveaux, et le coup d’état en introduisit de nombreux sur la scène politique ; mais outre que ces acteurs se tirèrent presque tous d’élémens très particuliers, la génération dont nous parlons n’eut ni pouvoir ni désir de bénéficier d’un changement politique qui la rejetait plus loin encore que la révolution de février de sa droite ligne libérale. Un régime de gênante compression s’établit auquel la masse de la société d’alors, encore mal remise des chaudes alertes de février et de juin, ne marchanda ni les approbations, ni les complaisances. La crainte d’une politique hydrophobe fit mettre