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Si quelques-uns ont eu cette illusion, elle a dû être de courte durée. Tandis qu’en effet elle moisissait dans son inertie forcée pendant les vingt années de l’empire, une nouvelle génération était née, avait grandi, et se trouvait prête à point pour bénéficier en masse de cette nouvelle révolution dans de meilleures conditions que sa devancière, c’est-à-dire en portant dans la vie publique une ardeur plus entière, des espérances moins craintives, une fermeté moins émoussée, une confiance moins susceptible de scepticisme. Il y a des situations politiques qu’il est désavantageux d’aborder avec trop de prudence et qui réclament des âmes toutes neuves, et c’est peut-être le cas pour la situation actuelle. « Nous avons été ruinés deux fois, la première fois à l’époque des semailles, la seconde fois à l’époque de la moisson, » nous disait récemment un peintre de genre du talent le plus lin qui n’a pas eu trop à se louer de la fortune, et ce mot résume avec un pittoresque bonheur d’expression la malencontreuse histoire de la génération dont nous venons d’esquisser la maussade destinée, et dont notre cher collaborateur Charles de Mazade est aujourd’hui un des survivans les plus distingués.

Laissons-le s’introduire lui-même, nous dire lui-même d’où il vient et ce qu’il est. Il l’a fait excellemment dans quelques lignes à nous adressées en réponse à une demande de renseignemens biographiques précis. Bornons-nous à transcrire ces lignes ; nous ne saurions dire aussi bien et avec autant d’autorité :


« Mon histoire n’est guère compliquée ; c’est l’histoire d’un homme de travail. Tout ce que je puis vous dire, c’est que ma famille a toujours eu quelque considération dans le Midi. Mon grand-père avait été de la convention pour la Haute-Garonne. Mon père était un magistrat de la vieille roche, de la haute tradition, qui a laissé des souvenirs d’honneur dans le pays ; c’était l’intégrité même dans la douceur. Il avait été procureur du roi à Castel-Sarrazin, où je suis né ; il est mort président à Moissac après 1830. Je m’en souviens à peine. Détail singulier, mon père avait été après 1815 à Castel-Sarrazin le protecteur de M. Troplong, qui n’était alors qu’un petit maître d’études, et il avait contribué à faire sortir de là le futur président de la cour de cassation et du sénat. Ma mère était aussi la fille d’un magistrat qui avait été de la première assemblée législative, puis président de la cour criminelle à Auch, puis conseiller à Agen. C’était une femme de grande et simple vertu, très pieuse et très tendre. Veuve jeune encore, elle m’a élevé par la confiance et l’affection plus qu’autrement. Elle m’a laissé des traces indélébiles. Je l’ai perdue il y a déjà vingt-cinq ans. Elle est morte à Flamarens (Gers) où je garde encore la modeste maison de famille. C’est là que j’ai vécu et que j’ai grandi, mon pauvre ami, devant beaucoup à