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l’ordre général, s’il croit y voir un avantage à venir pour la société ; un ecclésiastique, loin de la redouter, la désirera peut-être, si par ce moyen des intérêts d’ordre moral supérieur peuvent mieux être sauvegardés ; un magistrat n’y consentira jamais qu’avec honte et en se voilant la face. Les magistrats sont donc tenus d’être à la fois libéraux contre les conservateurs et conservateurs contre les libéraux, afin de sauvegarder les intérêts généraux de la société. De là d’ordinaire chez eux peu d’entraînement enthousiaste pour les principes absolus et les idées pures, et peu de dévoûment aux personnes, princes ou multitudes ; aussi, lorsque leur politique est par hasard passionnée, ce qui se voit quelquefois, ne leur en sait-on que peu de gré, cette passion se portant beaucoup plus sur cet être de raison qui s’appelle l’ordre social que sur aucun être vivant et aimant pouvant la récompenser. Eh bien ! je dirai que notre ami Charles de Mazade me semble avoir beaucoup marqué sa critique et sa littérature politique de l’empreinte de cet esprit-là. A la fois conservateur et libéral, il n’a jamais cherché à être plus conservateur que la société générale ne demandait à l’être, et plus libéral que le temps ne le permettait. Dans les nombreux événemens qui se sont succédé devant lui, et qu’il a dû juger et commenter, il n’a jamais vu que des phénomènes qui étaient acceptables ou inacceptables, non selon qu’ils flattaient telles ou telles espérances ou favorisaient telles ou telles doctrines, mais selon qu’ils étaient susceptibles d’être approuvés par la logique et mis en accord avec l’ordre général. Sa modération s’accommode mieux des résultats des choses que de leurs principes ; il sera toujours plus sensible à un beau livre qu’à la doctrine qui l’a produit, et plus porté à soutenir une bonne mesure politique qu’à se faire le champion de la théorie d’où elle est sortie. Nous ne l’avons jamais connu très ardent sur les questions de personnes et d’écoles, mais nous l’avons vu maintes fois se passionner pour des questions de situations politiques et littéraires. Ne remarquez-vous pas cependant combien il est vrai que le meilleur de nous-mêmes est la partie qui nous en a été transmise, et combien est profonde cette pensée du poète Wordsworth : « L’enfant est le père de l’homme, » puisque, ayant à faire mention des influences premières qui ont contribué à former l’esprit de notre collaborateur, nous avons été amené par cela seul à mettre en pleine lumière quelques-unes des qualités les plus dignes d’estime de son caractère et de son talent.

Les intelligences les plus sensées et les plus nettes ont à leurs débuts leur heure d’incertitude et de tâtonnemens. Cette heure fut courte pour M. Charles de Mazade ; elle a existé cependant. Les lecteurs habituels de cet esprit si judicieux apprendront peut-être avec