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de Rivas, de chatoyans et de bigarrés, comme celui de Larra ; tous sont différenciés par la seule insistance de l’auteur à nous expliquer chacun de ses modèles trait par trait jusqu’à ce que notre esprit en ait reçu une exacte et entière empreinte. Charles de Mazade ne pose pas dramatiquement ses personnages et ne les met pas en action comme tel essayist naguère célèbre, il ne cherche pas comme Sainte-Beuve à fixer la ressemblance en laissant tomber un point lumineux sur quelque grâce particulière ou en faisant ressortir un trait saillant par un habile effet de clair-obscur, il ne moralise pas à leur sujet comme Saint-Marc Girardin. Ses figures valent par elles-mêmes sans le secours des accessoires, des fonds, des costumes et des attitudes, sans artifices, ni trompe-l’œil, ni simulacres de la vie, et nous offrent pour garantie de leur ressemblance la neutralité judicieuse du peintre plus ambitieux de reproduire fidèlement l’image de son modèle que de détourner au profit de son art une partie de l’intérêt qu’il cherche à lui créer. Pour prendre des points de comparaison susceptibles d’éclairer notre pensée, disons que ses portraits sont à ceux de ses émules ce que les produits de l’art d’un Holbein ou d’un Clouet sont aux produits de l’art d’un Van-Dyck ou d’un Titien, et l’on sait si les premiers sont moins fidèles à la vérité que les seconds. Notons cependant une exception importante aux observations qui précèdent : le portrait de Donoso Cortès, écrit avec une éloquence affectueuse où se trahit le zèle d’un ami qui est entré dans l’intimité d’une belle âme et a eu part à ses confidences, suffit pour nous prouver que cette neutralité habituelle au peintre est volontaire et qu’il sait l’échanger contre une personnalité plus accentuée lorsque la sincérité et l’équité du juge ne doivent pas en souffrir.

Cette méthode n’est pas sans inconvéniens. A force de se concentrer sur la figure même qu’il s’agit de peindre, de se refuser le bénéfice des suggestions de pensée, des comparaisons et des souvenirs qu’elle serait susceptible d’éveiller, il peut arriver qu’on la prive de ces associations par lesquelles elle pourrait se relier plus étroitement à la littérature du passé et qui permettraient de remonter souvent à l’origine cachée des inspirations du poète ou de retrouver la filiation des idées de l’écrivain. Je prends quelques exemples dans ce volume de l’Espagne contemporaine. Dans l’étude sur le noble et sympathique duc de Rivas, M. de Mazade nous a donné une saisissante analyse du beau drame intitulé Don Alvaro, ou la force du destin, et cependant il l’a jugé avec trop de timidité, faute de se reporter aux exemples de là littérature passée qui en justifiaient la violente excentricité. S’il est une œuvre contemporaine où le génie dramatique espagnol nous paraisse avoir été ressaisi à sa source,