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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/311

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pendant cette interminable éclipse de toute discussion qui avait précédé. Pauvre Eugène Forcade ! Puisque son nom se rencontre sous ma plume, je ne perdrai pas cette occasion d’adresser à sa mémoire un tardif adieu. Encore une des victimes, et non la moins remarquable, de ces circonstances qui ont été fatales à la génération dont nous parlions en commençant et à laquelle il appartenait, comme M. de Mazade. C’était un des hommes les plus naturellement doués pour la politique que nous ayons rencontrés ; il y était porté comme d’autres sont portés à la poésie, naïvement, par l’effet d’une disposition primesautière de l’intelligence. Aussi, quand il en traitait, son esprit entrait-il dans ses sujets d’un mouvement facile, où ne se sentait ni l’effort d’une volonté ambitieuse, ni le triomphe de l’étude sur une nature primitivement rebelle à sa tâche et domptée seulement par le travail. Rien d’oratoire dans sa manière ; il n’était pas de ceux qui, pour devenir hommes publics, ont d’abord besoin d’être tribuns. Rien non plus de spéculatif et de théorique ; il avait en suspicion la politique des hommes qui ont trop longtemps séjourné dans le cabinet d’affaires ou le cabinet d’études, des avocats et des professeurs, et nous l’avons mainte fois entendu s’exprimer à cet égard avec une vivacité exceptionnelle. Sous un gouvernement libre, sa place légitime eût été dans une assemblée législative, mieux encore dans les conseils mêmes du pouvoir et autour du tapis vert d’un ministère ; le sort ne lui laissa pour théâtre de ses rares facultés que le journalisme et la littérature, et encore non sans combats et sans obstacles. Si le caractère était aussi ferme que l’intelligence était lumineuse est une question qu’il nous serait plus difficile de résoudre affirmativement ; ce qui est certain, c’est que, dans le commerce de la vie, il était la douceur même, d’une affabilité et d’une politesse charmantes. Nous n’avons pas connu de camarade meilleur, plus serviable, plus délicatement soigneux des susceptibilités et de l’amour-propre de ceux qui l’approchaient. Sociable au possible, et avec une pente native à la bonne humeur, jamais, à notre connaissance, son entrain ne dégénéra en agression capable de blesser. Il était de ceux, hélas ! qui, inoffensifs pour tout le monde, ne sont offensifs que pour eux-mêmes. Il est mort avant l’heure, nous donnant le mélancolique spectacle d’une vocation qui n’a pu s’accomplir et d’une destinée que le hasard des circonstances a fait mentir aux promesses certaines des astres propices.

M. de Mazade avait toujours eu un goût naturel pour la littérature politique ; ces six premières années de chronique le développèrent et lui en firent une habitude d’esprit désormais impérieuse. Aussi à peine relevé de ses fatigantes fonctions chercha-t-il un