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contenait de douleur et de courroux. C’est dans cette attitude éloquente, avec ces regards pleins de flammes sombres, que se présentait devant l’Europe l’Italie d’avant l’indépendance, cette Italie que Montalembert, par une de ces expressions qui peignent, appelait un enfer politique et intellectuel, et le plus grand éloge que je puisse faire des études de M. de Mazade est de dire qu’elles en ont ressuscité en moi l’image dans toute sa pathétique vivacité. M. de Mazade montrait l’étranger étendant partout sa main en Italie au mépris des droits des états, plaçant garnison dans les Marches et la Romagne, pesant sur la Toscane et les duchés du centre jusqu’à leur enlever toute ombre d’autonomie, menaçant le Piémont et présentant la liberté récente de ce pays comme une insulte à son adresse, comme une attitude d’hostilité, ne voulant enfin en Italie de princes que complices et de peuples que sujets. Dans toute l’Italie un seul état conservait réellement son autonomie, et se trouvait à l’abri des menaces et de la pression de l’étranger, le royaume de Naples ; or ce royaume autonome était gouverné par l’absolutisme le plus franc et l’obscurantisme le moins hypocrite. Toutes les variétés du silence s’étaient établies sur cette terre où régnait sans partage tout ce qui le crée, l’appelle, ou le favorise, la compression, le deuil, le mystère, la conspiration. Dans ce violent état de choses, où il n’y avait de liberté que pour le plus bas peuple, le seul recours possible contre l’injustice pour les opprimés étant le crime, et les seuls moyens de sécurité pour les oppresseurs étant l’espionnage et l’arbitraire, la fatale habitude des sociétés secrètes s’était enracinée dans les mœurs publiques à ce point qu’elle était partagée par le pouvoir lui-même. Il faut lire très particulièrement dans le livre de M. de Mazade ce tableau de l’état politique du royaume de Naples sous Ferdinand II, il est de main de maître, et l’impression qu’il laisse est d’autant plus grande qu’il est peint d’un pinceau sans fièvre, avec des couleurs sans violence, sans aucune recherche d’effets criards, sans aucune facile rhétorique d’indignation. Comme invariable conclusion à ses éloquens exposés de faits, M. de Mazade demandait aux adversaires de l’Italie combien de temps on croyait pouvoir maintenir un tel statu quo qui ne présentait rien, menaçait tout, et n’était autre chose que l’anarchie en permanence.

L’originalité de cette défense de la cause italienne, c’est que, tout en se tenant ferme sur le terrain de la justice et du droit, M. de Mazade ne se refusait pas à discuter avec les partis ennemis de l’indépendance, qu’il acceptait leurs argumens, leurs appréhensions, leurs scrupules pour les retourner contre eux-mêmes et leur démontrer que les intérêts qu’ils prétendaient protéger devaient être mieux servis par la nationalité nouvelle que par l’état de