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la vie morale et ne laissait d’autre aliment à son cœur que celui de la plus vigoureuse misanthropie qu’on ait jamais connue. D’autres alléguaient que la liberté du peuple romain était incompatible avec le pouvoir temporel ; ceux-là, M. de Mazade les faisait contredire par le pape lui-même, qui sans doute n’en jugeait pas ainsi, puisqu’il y avait eu un jour où il avait consenti à l’établissement d’un gouvernement constitutionnel, et il dessinait d’un crayon ferme la hautaine figure de Pellegrino Rossi, le promoteur et la victime de cette patriotique entreprise. Un grand nombre enfin, sans se refuser à la création d’une nationalité italienne, contestaient que ce but pût être atteint par l’unité et affichaient leur préférence pour l’idée de confédération ; à cette opinion, M. de Mazade opposait un raisonnement d’une logique absolument victorieuse. Vous oubliez, disait-il, que dans la condition où les laissaient la paix de Villafranca et le traité de Zurich, les Italiens n’avaient pas le choix des moyens. La confédération eût été possible si le programme impérial eût été rempli jusqu’au bout, si l’Italie avait été libre jusqu’à l’Adriatique. Alors, le sol étant libéré de toute occupation étrangère, on aurait pu faire plus aisément sa part au Piémont, qui n’avait plus à prétendre à la prépondérance puisque son rôle de défenseur de l’indépendance prenait fin et qu’il cessait d’être l’unique centre d’attraction. D’autre part, les princes n’ayant plus, les uns à craindre la pression de l’Autriche, les autres à compter sur son appui, se seraient trouvés en tête-à-tête avec leurs peuples, et auraient été amenés à former avec eux des pactes plus sérieux que par le passé. Mais, livrés à eux-mêmes et encouragés à agir par eux-mêmes, que pouvaient-ils faire d’autre, les Italiens, que ce qu’ils ont fait ? Voilà comment l’unité, à laquelle personne ne pensait la veille, excepté comme but idéal, lointain et presque inaccessible, a été acceptée par tous le lendemain comme le seul moyen immédiat et pratique d’action. — C’est ainsi que les allégations des partis sont relevées successivement, et qu’aucune ne reste sans réfutation ou démenti. Si l’Italie n’est pas ingrate, elle devra garder reconnaissance à M. de Mazade, car elle n’a pas eu en France d’avocat qui ait défendu sa cause avec autant de verve sensée, de franchise logique, et une connaissance plus approfondie du dossier politique et historique du grand procès qu’elle a gagné devant l’Europe.

Le triomphe assuré, M. de Mazade n’a pas abandonné son illustre cliente, et dans les dernières années il nous donnait une belle étude, riche de faits, plus riche encore de vues sagaces et de fermes jugemens, sur le grand ministre qui fut le promoteur et l’âme de ce mouvement italien, destiné grâce à sa haute raison à un succès si complet, le comte Camille de Cavour. Il y avait en vogue, il y a