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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/353

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cette nouvelle étude, et si mes lecteurs ont le courage de faire encore avec moi une excursion dans ces tristes régions où la misère engendre le vice et où le vice entretient la misère, ils en rapporteront, (je le crains) avec un immense dégoût, une commisération sans bornes pour ceux dont la jeunesse est livrée sans défense à ces tentations grossières, et une certaine indulgence philosophique pour les dépravations sans nombre de notre misérable humanité.


I

S’il fallait s’en tenir à la lettre du code pénal, tout individu, garçon ou fille, qui a dépassé, fût-ce d’un jour, l’âge de seize ans, devrait être considéré comme un adulte, ayant la pleine responsabilité de ses actes et n’ayant droit à aucune indulgence, non plus qu’à aucune atténuation de pénalité. Mais on comprendra sans peine que je ne m’en tienne pas à cette limite rigoureuse et que je comprenne également dans ce travail tous ceux qui, bien qu’ayant dépassé l’âge de seize ans, ne sauraient cependant être considérés comme ayant atteint le plein développement de leur nature et de leur personnalité. Ne pas embrasser en effet dans des observations sur la criminalité juvénile les délinquans de seize à vingt et un ans serait à Paris restreindre singulièrement le champ de ces observations. D’un relevé, fait à ma demande sur les registres des prisons de la Seine, il résulte que durant ces sept dernières années il n’y a pas moins de deux mille individus du sexe masculin appartenant à cette catégorie qui ont commis des infractions assez graves pour être punies de peines s’élevant depuis un an de prison jusqu’aux travaux forcés à perpétuité ou à la mort, sans parler de tous ceux, en bien plus grand nombre, qui ont été condamnés à des peines inférieures à un an de prison. Dans ce contingent nombreux figurent tous les genres de criminels, assassins, empoisonneurs, faux monnayeurs, faussaires, escrocs, receleurs. Mais ce sont cependant les voleurs qui dominent. Le voleur parisien n’est pas ce grand gaillard aux épaules carrées, à la physionomie sinistre, que l’imagination se représente en haillons, avec un gourdin à la main. C’est un individu malingre et chétif, habillé aussi souvent en redingote qu’en blouse, portant parfois des bijoux faux à ses doigts, et qu’un homme vigoureux terrasserait aisément d’un coup de poing. Aussi marche-t-il presque toujours en bande, rôdant le soir à l’aguet de quelques victimes, et suivant les passans à la descente des gares de chemin de fer ou à la sortie des théâtres. Arrivés dans un endroit désert, l’un se jette dans vos jambes, l’autre vous renverse d’un coup de tête dans l’estomac, et le troisième vous dévalise, sauf