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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/378

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enfans. Rien n’est en effet plus mélancolique que l’aspect de ces enfans travaillant solitaires dans des cellules qui sont, à vrai dire, de petites chambrettes avec une croisée donnant sur la cour. Peut-être a-t-on même attristé assez inutilement l’aspect de ces cellules en dépolissant les fenêtres, par lesquelles ne pénètre en tout temps qu’une lumière grise et blafarde. L’inconvénient qu’il y aurait à ce que les enfans jetassent de temps à autre un coup d’œil dans les préaux où ne passent que des gens de service serait largement tempéré par l’avantage délaisser arriver dans leurs cellules un rayon de soleil et de gaîté. Cette critique au reste n’est pas la seule qu’on pourrait diriger contre les cellules de la Petite-Roquette, dont la ventilation et surtout le chauffage sont insuffisans. Mais ce qui présente un aspect plus triste encore que le travail des enfans dans la cellule, c’est leur récréation dans les préaux cellulaires, en forme de trapèzes, étroits à l’entrée, plus larges à l’extrémité, longs d’une dizaine de mètres, dans l’intérieur desquels les enfans jouent ou du moins sont censés jouer tandis qu’un gardien les surveille à travers des barreaux. Le contraste entre le spectacle de gaîté, d’animation bruyante que présentent ordinairement les jeux d’enfans et celui de cette silencieuse récréation durant laquelle quelques-uns poussent avec résignation un cerceau réglementaire est si poignant qu’involontairement on est hanté par le souvenir de toutes les déclamations qui ont été écrites à propos de « l’enfant en cage » et qu’on est presque tenté de s’y associer. Mais ce sont-là, je le répète, des impressions d’imagination auxquelles il ne faut point s’abandonner, et lorsqu’on prend la peine d’aller jusqu’au fond des choses, on arrive bien vite à se convaincre que les enfans supportent sans inconvénient aucun leur séjour solitaire à la Petite-Roquette et que ce séjour est aussi profitable à leur corps qu’à leur âme. La plupart de ces enfans entrent dans la maison pâles et malingres. Lorsqu’on tâte leurs petits bras on s’aperçoit qu’ils remplissent à peine la manche de leurs vestes ; à quatorze ans j’en ai vu dont la main semblait celle d’un enfant de sept ans. Au bout de quelques jours d’une nourriture saine et très suffisante leurs couleurs reviennent. Au bout de six semaines ou deux mois de séjour, c’est-à-dire en général aux environs de leur sortie, la vigueur commence à leur venir. Pour le caractère c’est précisément le contraire. Les premiers jours, ils sont turbulens, agités, mécontens. Un nouveau venu vous dira qu’il s’ennuie à mourir ou essaiera de vous émouvoir par des larmes factices. Parfois cependant cette première émotion de la solitude est profonde et sincère. Je me souviens d’avoir été attiré dans une cellule par les gémissemens d’un enfant, arrêté en flagrant délit de vol à l’étalage, dont le petit corps était secoué de la tête aux pieds par des sanglots convulsifs. Je ne