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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/404

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troupeaux ; au milieu de la plaine, un ravin profond fournit tout juste l’eau nécessaire aux familles et aux bestiaux ; vers le sud, barrant l’horizon, les montagnes des Itou Galla ; au nord-est, les flancs étages des montagnes d’Erer.

« Connaissant la localité, j’avais pris la tête de la colonne avec mes chevaux ; j’arrivai ainsi aux premières maisons du village : c’étaient des bergeries, les gens de la caravane voulaient s’y arrêter, mais comme l’endroit ne me convenait pas, je poussai en avant et choisis la place du campement à 3 kilomètres plus loin, près de la maison même de Mohamet Gourra et sur le bord du ravin ; je parquai mes chevaux à l’ombre d’un gros mimosa et le reste de la caravane ne tarda pas à me rejoindre. Ce même soir, j’apprends que l’expédition italienne a été signalée au-delà d’Erer, à trois jours seulement de Moulon, mais on la dit en souffrance.

« Dimanche 16. Au petit jour nous sommes réveillés par un cri d’alarme venant du sud-ouest, du milieu même des bergeries, et déjà de chaque hameau, de chaque maison, à pied, à cheval, sortaient des bandes armées qui se portaient en courant sur le théâtre de la lutte. Tous les indigènes qui faisaient partie de la caravane abandonnent le campement ; en tête marche Mohamet Abou-Bakr, monté sur sa mule, un fusil chargé à balle à la main, et avec lui Saleh, son parent, également monté sur une mule, mais armé, à la façon des Adels, d’un bouclier, d’une lance et d’un poignard. Cette fois l’alarme était sérieuse. Mes Éthiopiens voulaient, eux aussi, prendre part à la mêlée ; je m’y oppose, je fais seller les mulets et les chevaux prêts à partir, puis j’ordonne de prendre les armes ; dix de mes hommes ont des fusils ; en cas d’attaque nous sommes en mesure, à l’abri des marchandises, de nous défendre vigoureusement. Voici ce qui s’était passé : un parti des Assaï-Mara, ceux-là mêmes qui avaient fourni les meurtriers de mes deux compagnons, étaient venus, au nombre de cinq cents, sur le territoire de la tribu rivale de Moulon, pour voler les troupeaux ; à la faveur de la nuit, ils s’introduisent dans les bergeries et tuent indifféremment tout ce qu’ils rencontrent ; mais quelques femmes échappées au massacre ont fait entendre le cri d’alarme ; les gens de Moulon accourent en toute hâte, et, peu à peu, leur nombre grossissant, un combat acharné s’engage ; survient alors Mohamet, il s’élance dans la mêlée, et, à bout portant, casse la tête d’un Assaï-Mara. Au bruit de la détonation, aussitôt suivi de l’effet, les compagnons du mort croient que tous mes hommes vont fondre sur eux avec leurs fusils, un sauve qui peut général a lieu ; oh les poursuit ; en moins de quelques minutes, plusieurs centaines de cadavres ensanglantent le sol ; les Adels ne font jamais de