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loin pousser la conjecture que de supposer qu’on laissa passer librement çà et là un ennemi déjà célèbre du nom romain, mais qu’on se défia beaucoup du Carthaginois ? Ce que nous avons dit en commençant de la renommée que Carthage devait à l’esprit mercantile de ses voyageurs justifierait cette explication. La puissance de séduction d’Hannibal lui était personnelle, ainsi.qu’à son père, et faisait exception. Ceux même qu’il réussissait à rassurer sur ses intentions se souciaient peu d’accepter l’hégémonie punique. D’ailleurs l’influence de Marseille ne dut pas lui être favorable.

C’est la seule chose qui nous explique pourquoi, malgré le retentissement de ses premières victoires, Hannibal éprouva en Italie un mécompte du même genre, et encore plus grave. Très certainement il espérait que les peuples domptés depuis un siècle ou deux par les armes romaines saisiraient cette occasion de ressaisir leur indépendance et de venger leurs vieilles injures. C’est même ce qui nous permet de répondre à notre seconde question : Pourquoi, après les batailles de la Trébie et du lac Trasimène, ne marcha-t-il pas sur Rome ? Cette question, qui a toujours préoccupé les historiens, ceux surtout qui ont étudié en militaires les campagnes d’Hannibal, ne souffre guère d’autre solution. Plutôt que de compromettre ses brillans débuts par ce qui pouvait être une imprudence, il attendit que l’effet moral de ses victoires déterminât ce soulèvement de l’Italie qui eût décuplé ses forces et assuré le succès définitif. Il se peut aussi qu’Hannibal ne fût pas grand amateur de sièges, que les aptitudes spéciales de l’armée que son père, son oncle et lui-même avaient formée avec tant de soin, la rendissent plus redoutable en bataille rangée que devant des murs. Ce ne sont pas les villes emportées d’assaut, après une vive résistance, qui ont valu à Hannibal la plus belle part de ses trophées. On sait combien le siège de Sagonte lui coûta de peines et d’hommes. Il échoua longtemps devant Tarente ; même quand il y fut entré, il ne parvint jamais à s’emparer de la citadelle : ailleurs encore, il fut médiocrement heureux dans des tentatives du même genre. Mais enfin, s’il n’avait pas eu d’autre objectif que la prise de Rome avec les forces dont il disposait en entrant en Italie, il aurait tout au moins essayé. Même après la bataille de Cannes, il se borna à une démonstration peu sérieuse dans la campagne de Rome. Lorsque Capoue, assiégée par les Romains sans qu’il pût les forcer à lever le siège, fut réduite à l’extrémité, il fit encore une pointe sur Rome dans l’espoir que cette diversion sauverait la ville menacée ; ce ne fut encore qu’une manœuvre, et non pas une attaque de fond. Il est donc impossible d’attribuer ses lenteurs à autre chose qu’à des calculs plus politiques encore que militaires. Sa conduite n’est claire que dans l’hypothèse qu’il espéra longtemps que l’Italie en masse finirait par faire