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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/444

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premières années des années sur lesquelles ils pouvaient absolument compter. Là, la guerre méditée par une famille pendant deux générations fut du premier au dernier moment l’œuvre d’un seul homme.

Son avortement final ne doit pas nous prévenir contre l’entreprise elle-même. Si l’habile diversion que fit Scipion en transportant la guerre sous les murs même de Carthage n’avait pas forcé Hannibal à se rembarquer pour courir à la défense de sa ville natale, il n’y avait pas de raison pour que la guerre telle qu’il savait la faire cessât de sitôt. Et qui sait ce qui serait advenu à la longue ? Déjà son regard se dirigeait vers l’orient. Il voyait de ce côté des peuples commandés par des chefs assez éclairés pour comprendre que la victoire définitive de Rome sur Carthage serait une menace pour le monde entier. Il s’était mis à apprendre le grec. Déjà il avait noué des intelligences avec Philippe de Macédoine. En se maintenant coûte que coûte en Italie ne pouvait-il pas toujours penser que le moment viendrait pourtant où les peuples fédérés avec Rome, voyant qu’elle ne parvenait pas à les protéger contre lui, finiraient, bon gré, mal gré, par tâcher de s’entendre avec lui ?

L’expédition de Scipion en Afrique lui enleva ses dernières chances. C’est là que son entreprise italienne reçut le coup mortel. Carthage, pour ainsi dire, se déroba sous lui ; car elle fut d’une mollesse honteuse ou d’une inconcevable imprévoyance pour parer au danger qui la menaçait. Elle ne chercha pas même à s’opposer au débarquement. Hannibal, tout en comptant très peu sur elle pour en recevoir des subsides ou des recrues, pouvait du moins espérer qu’elle saurait profiter des loisirs qu’il lui procurait pour se mettre sur un pied de défense formidable. Mais telle est l’incurie ordinaire des peuples où l’esprit commercial domine exclusivement. En tout temps, en tout lieu, les préparatifs de défense coûtent fort cher, ne rapportent rien, seront peut-être inutiles, et de tous les spectacles qui peuvent affliger les regards d’un peuple calculateur, le plus lugubre est toujours celui d’un capital qui dort sans rien produire. Probablement on comptait sur une heureuse issue de la guerre en Italie. On se rappelait la défaite de Régulus. On se disait que les Romains, à supposer qu’ils parvinssent à triompher d’Hannibal, seraient trop heureux de conclure la paix sans s’aventurer de nouveau sur une terre qui leur avait été funeste. On n’attacha pas même d’importance à une circonstance qui devait être très préjudiciable à Carthage.

Les populations libyennes ou numides qui lui étaient soumises étaient loin d’éprouver pour leur métropole ces sentimens d’adhésion raisonnée qui rapprochaient déjà les cités italiennes de la ville du Tibre. Elles étaient courbées sous un joug très dur, écrasées