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comiques, où jusqu’à trois acteurs pouvaient se succéder, sans se remplacer, chacun d’eux y mettant à son tour des qualités d’interprétation très personnelles, et pour ainsi dire divisant le public en des camps différens ?

Aux chefs-d’œuvre du grand répertoire il ne serait pas mauvais de joindre quelques tragédies ou comédies du répertoire de deuxième ordre. Il y a quelques années de cela, M. Perrin reprit Zaïre. Ce fut un succès. M. Mounet Sully trouva dans Orosmane un des rôles, trop rares, où l’on puisse l’applaudir à l’aise et sans être brusquement déconcerté de son admiration par quelque fugue soudaine, quelque emportement inattendu de la voix ou du geste. Mlle Sarah Bernhardt trouva dans Zaïre la meilleure occasion qu’elle eût rencontrée de fondre et de confondre dans l’unité d’un même rôle ses légers défauts, la nonchalance exagérée de l’allure, la lenteur un peu traînante parfois de la diction, et ses rares qualités l’intelligence entière du personnage, la sensibilité profonde, la justesse de l’accent tragique et le charme incomparable de la voix. Si l’on essayait de remettre Tancrède à la scène, Tancrède avec sa période poétique, presque ailée, — chose si rare chez Voltaire, — ce serait sans doute le même applaudissement. On s’en tiendrait là. Il n’a vraiment été donné chez nous qu’à Corneille et qu’à Racine de régner sur la scène tragique, et si Voltaire, par deux ou trois fois ; ne les a pas pillés sans bonheur,

Le reste ne vaut pas l’honneur d’être nommé.


Quelques historiens de la littérature prétendent que Marivaux a fait un Annibal et Piron un Callisthène. C’est déjà bien beau de le savoir ; nous préservent les dieux de les lire ! à plus forte raison de demander jamais qu’on les traduise au théâtre.

Le répertoire comique est plus riche. Il a jusqu’ici résisté plus vaillamment contre les caprices de la mode et les révolutions du goût. Quoi qu’en ait dit Molière, dans un jour d’injustice, il a semblé que l’entreprise était plus facile « de faire rire les honnêtes gens » que de les émouvoir tragiquement et de leur arracher de vraies larmes. Boursault, Dancourt, Destouches, ont vieilli sans doute, et Thomas Corneille aussi, dont la Devineresse fit courir le tout Paris d’alors, combien d’autres avec eux ! Mais Regnard est toujours gai, Marivaux plus qu’agréable à voir, Beaumarchais plus qu’amusant. Ni les uns ni les autres, on ne les joue assez souvent. Turcaret encore devrait garder au répertoire courant une place d’honneur. Et pourquoi, de loin en loin, ne reprendrait-on pas le Méchant ou la Métromane ? Pourquoi ne ferait-on pas à Gresset et à Piron l’honneur qu’on a bien fait à Sedaine ? Souhaitons au moins que le demi-succès du Philosophe sans le savoir nous préserve