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c’est la parole du maître. » Le livre doit servir à fixer cette parole, à en donner la formule, mais il doit être vivifié par la voix humaine, par une parole toujours prête. Non pas que l’instituteur ait à faire des leçons, ce serait un autre excès : expliquer avec sobriété, répondre avec précision, telle est la vraie méthode. Le maître doit se préparer, posséder assez la leçon lui-même pour être prêt à toutes les difficultés qui peuvent survenir, « avoir un plan arrêté d’avance et cependant assez flexible pour se prêter à l’imprévu. » Il faut suivre le programme avec liberté : le programme est un guide, mais non une entrave. Dans les classes plus élevées, l’enfant peut payer un peu plus de sa personne ; il n’est pas mauvais de commencer à l’exercer à penser par lui-même, « à se tendre un petit, comme dit Rabelais, et à luicter jusqu’à la sueur. »

Dans la première classe des écoles de garçons, M. Gréard a proposé et fait adopter une heureuse réforme : c’est la substitution des femmes aux hommes dans l’enseignement. L’enfant entre dans cette classe en sortant de la salle d’asile. « Il y éprouve d’ordinaire, dit M. Gréard, une sorte de saisissement et d’arrêt. L’instituteur représente la règle virilement : les tempéramens lui échappent. Il ne connaît pas, et il a peu de goût pour étudier les accès si divers, si multiples de ces jeunes intelligences. C’est la classe qui demande le plus d’expérience ; et elle échoit d’ordinaire à celui qui en a le moins. La femme au contraire a l’instinct de l’éducation : comme fille, comme sœur, comme épouse, comme mère, elle est habituée à l’abnégation, au sacrifice. Sa fermeté imprégnée de tendresse captive l’enfant. Son intelligence pénétrante et déliée se prête aux désirs de la naïve créature. Elle s’empare sans effort ou par un effort aimable de tous les ressorts de son esprit et de son cœur. Riche en ressources, ingénieuse en inventions, elle sait varier ses moyens d’action. Ce qu’on ne lui a pas appris, elle le devine. Jamais l’enfant ne s’ennuie avec elle, parce qu’elle ne s’ennuie jamais avec lui. » Nous avons voulu citer tout entière cette charmante page qui rappelle Fénelon dans l’Éducation des filles, et que peu de personnes iraient chercher dans l’énorme in-quarto bourré de chiffres que nous analysons ; on y reconnaît cette plume légère formée par les lettres, que les chiffres et les statistiques n’ont pas alourdie, ce tact délicat formé par la philosophie morale, que l’expérience des choses n’a pas émoussé. De telles pages prouvent assez que l’auteur du rapport est non-seulement un administrateur, mais encore un éducateur.

Une des plus heureuses et des plus intéressantes idées de M. Gréard a été, par une discrète imitation des méthodes américaines, de s’adresser aux enfans eux-mêmes pour faire sur leurs sentimens, leurs caractères et leurs goûts, une enquête toute