gré sa réputation, Cypre est une des dernières terres classiques sur lesquelles se soit portée l’attention des érudits. Elle était plus éloignée de l’Italie que la Grèce ; elle ne se trouvait point placée, comme les îles de la Mer-Égée, sur les routes suivies par les voyageurs qui, depuis la fin du siècle dernier, entreprenaient le pèlerinage d’Athènes ou bien allaient visiter Smyrne et l’Ionie, les rivages de Troie et Constantinople. Quelques-uns seulement, qui poussaient jusqu’à la Syrie et l’Égypte, avaient été jetés dans l’île de Cypre par les hasards de la voilé et du vent ; mais de ce détour et de cette relâche ils n’avaient guère rapporté qu’une déception. Tandis qu’Égine, le Péloponèse et l’Attique, tandis que toutes les côtes de l’Asie-Mineure offraient aux yeux du savant et de l’artiste les murs encore debout de leurs cités et de leurs acropoles, la courbe élégante, les gradins, parfois la scène de leurs théâtres, les façades variées de leurs tombes construites ou creusées dans le roc, les colonnes et les frontons de leurs temples les plus fameux, Cypre n’avait pour ainsi dire pas gardé de traces apparentes de l’antiquité. Pas un monument de cette époque qui s’élevât au-dessus du sol et qui frappât le regard. À peine çà et là quelques vestiges d’aqueducs et de vieilles murailles ; à peine quelques tombeaux, formés de trois ou quatre grosses pierres rudement assemblées, comme celui qui, tout près de Larnaca, est devenu avec le temps une chapelle consacrée à la Vierge.
Pour représenter un passé si brillant et si plein de souvenirs, c’était bien peu de chose que de pareils débris. À Cypre, une seule époque, une seule civilisation fait encore figure par les monumens qu’elle a laissés comme autant de témoins de sa puissance, c’est le moyen âge, c’est la civilisation franque. Dès que le voyageur quittait Larnaca, ville toute moderne, qui ne s’est développée que depuis la conquête turque, dès qu’il allait à Famagouste, à Nicosie et dans le nord de l’île, de tous côtés il apercevait des forteresses féodales qui semblent encore défier l’assaut, tellement il est difficile d’escalader les rochers à pic qui les portent et ces remparts que depuis des siècles personne ne défend plus ! Ailleurs, dans des sites charmans, c’étaient de pittoresques ruines d’abbayes ; c’étaient, dans toutes les villes, des nefs ogivales et des clochers gothiques. Toute l’architecture des Lusignans était là, à peine défigurée par la pointe légère des minarets, par le lait de chaux étendu sur ces parois que la fresque avait jadis animées et colorées. Partout l’église perçait sous la mosquée ; mais on n’y songeait guère ; l’attention était ailleurs. Cette indifférence a fait la partie belle à M. de Mas Latrie. Venu bien tard dans des lieux où d’autres avaient passé avant lui, il a retrouvé, il a rendu à l’histoire