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voyages en Orient ; il profita d’une occasion qui s’offrait à lui de retourner tout droit au Pirée. C’était le seul moyen d’échapper au lazaret de Smyrne et à son lourd ennui[1].

Malgré sa rapidité, cette excursion ne fut pas sans profit ; elle contribua beaucoup à tourner vers Cypre les yeux des savans. Par ce qu’il avait entendu comme par ce qu’il avait vu lui-même, Ross avait pu se faire, il avait pu donner une idée des richesses que gardait aux archéologues le sol de l’île, pour le jour où l’on prendrait la peine de les chercher. Nous ne songeons point ici à ces récits fantastiques qu’il entendit répéter dans plusieurs villages et qui rappellent ceux que nous-même avons recueillis en Crète[2]. Il s’agit de Francs qui débarquent sur la plage, consultent je ne sais quel grimoire, vont droit à une paroi de roc et prononcent à petit bruit une formule magique : la montagne s’ouvre, ils pénètrent dans une caverne pleine de trésors où ils puisent à pleines mains ; une fois chargés, ils partent avec leur butin, le rocher se referme derrière eux, et le pâtre qui, caché dans les buissons, les avait épiés et suivis du regard, ne retrouve plus la trace de leur passage et promène en vain ses mains avides sur la pierre lisse et dure.

Ces fables mêmes ont dû être suggérées à l’imagination populaire par des faits réels, qu’elle arrange et commente à sa manière ; mais des avertissemens, mais des indices plus sérieux abondaient. La croyance aux trésors cachés était entretenue ici par des trouvailles fréquentes de monnaies et d’objets en métaux précieux. Pendant ses longs siècles de prospérité, dans les temps anciens comme au moyen âge, l’île avait absorbé des quantités d’or et d’argent dont plus d’une parcelle avait dû rester cachée dans ses entrailles. D’autres fois le hasard mettait aux mains de pauvres paysans des monumens devant lesquels un archéologue serait tombé à genoux, mais que détruisaient l’ignorance et la peur. En 1836, près de l’ancienne Tamassos, entre les deux villages d’Episkopion et de Péra, pendant les chaleurs de l’été, on faisait un trou dans le lit desséché du torrent, pour y chercher un peu de cette eau qui se cache et filtre entre les cailloux, à quelques pieds au-dessous de la surface brûlante ; tout d’un coup sous la pioche retentit le son d’un objet en métal. Des voisins accoururent ; au bout de quelques heures, on avait dégagé une statue de bronze, parfaitement conservée. Elle était de grandeur naturelle, selon les uns, peut-être un peu plus grande que nature,

  1. La relation de Ross a été publiée en 1852 sous ce titre : Reisen nach Kos, Halicarnassos, Rhodos und der Insel Cypern. Ce cahier forme le quatrième volume des Voyages dans les Iles grecques (Reisen auf den Griechischen Inseln) et contient, comme les tomes précédens, quelques planches, aussi fidèles que le permet l’étroit format d’un court in-octavo.
  2. G. Perrot, l’Ile de Crète, souvenirs de voyage, p. 103.