lourde barque, très chargée de malles et de gens, talonna dans le sable et refusa d’aller plus loin malgré tous les efforts des bateliers. Entrant dans l’eau jusqu’à la ceinture, ceux-ci prirent les passagers sur leurs épaules et les mirent, l’un après l’autre, en lieu sûr ; mais, lorsqu’ils s’apprêtèrent à débarquer Mme de Cesnola, ces braves gens, à leur grande surprise, rencontrèrent une résistance obstinée. Une jeune femme, une Américaine, se laisser emporter ainsi dans les bras de ces hommes, de ces sauvages à demi nus ! Plutôt retourner à bord et quitter Cypre sans y prendre terre ! La malheureuse amante de Paul, Virginie, n’était pas plus inflexible dans ces scrupules de pudeur qui lui ont coûté la vie et à nous tant de larmes. Alors, dans la foule qui s’était amassée pour assister au débarquement du consul, quelqu’un eut une idée qui semblait devoir tout concilier : on courut à une maison voisine, on en rapporta un grand fauteuil que deux rameurs assujettirent sur leur épaule, et l’on pria Mme de Cesnola de s’y asseoir ; élevée sur cette sorte de trône, elle arriverait jusqu’à la plage sans avoir eu à subir le contact qui lui répugnait, elle entrerait dans l’île comme une reine dans son royaume ! Toute séduisante qu’elle parût, la proposition fut encore repoussée. La situation commençait à devenir embarrassante. Par bonheur, l’embarcation, allégée des fardeaux qui l’alourdissaient, fut tout à coup poussée plus près du bord par une vague plus forte que les autres. Cette fois, de l’avant, la fière Américaine put s’élancer sur le sable sans accepter le secours de ces bras qui l’eussent déshonorée ; elle prit un bain de pied, mais l’honneur était sauf !
Ainsi commencé, le séjour de M. de Cesnola dans l’île se prolongea jusqu’au printemps de 1876 ; il fut à peine interrompu par quelques courtes excursions en Italie, en France et en Angleterre, puis par un voyage en Amérique, vers 1872. Pas plus que M. Hamilton Lang, M. de Cesnola ne paraissait d’ailleurs appelé, par son éducation et par les débuts de sa carrière, à entreprendre des recherches qui feraient époque dans l’histoire de l’archéologie. Né en 1832 à Rivarolo, près de Turin, il appartient à une vieille famille piémontaise, celle des comtes Palma. Un de ses membres, le comte Alerino Palma, fut, en 1821, l’un des chefs de cette révolution avortée qui préparait l’avenir de l’Italie. Exilé avec Santa-Rosa, dont il avait partagé les espérances et les tristesses, il alla comme lui prendre part aux luttes de l’indépendance grecque, et mourut à Athènes, en 1851, vice-président de la cour de cassation. Son jeune neveu, le comte Louis Palma de Cesnola, n’a pas dû faire dans sa première jeunesse d’études bien profondes ; élève de l’école militaire ou Académie royale de Turin, il se voyait appelé sous les drapeaux avant l’âge par la guerre contre l’Autriche ; à seize ans,