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L’ÎLE DE CYPRE.

années, il avait assisté à trente-neuf batailles ou combats. En récompense de ses actions d’éclat, il reçut donc du président Lincoln, avec le titre de citoyen américain, le brevet honoraire de général de brigade (brigadier-général), et bientôt, grâce tout à la fois aux services rendus et aux influences dont il disposait, il obtint d’entrer dans le service diplomatique ; le ministre des affaires étrangères le nomma consul à Cypre.

Si, de plusieurs postes qui lui étaient offerts, le général de Cesnola préféra Cypre, c’était surtout pour se rapprocher de l’Italie, pour retrouver un climat et un milieu qui la lui rappelassent ; ce n’était pas qu’il eût encore conçu la pensée de ces fouilles qui devaient faire tout ensemble sa gloire et sa fortune. De toutes les qualités qui sont nécessaires pour assurer le succès d’une pareille entreprise, il n’en avait laissé paraître jusque-là qu’une seule ; mais c’est de beaucoup la plus importante. Je veux parler de la décision et de la hardiesse, d’un certain tour de caractère et d’esprit qui font que l’on aime l’imprévu, que l’on ne s’effraie point de l’obstacle, que l’on s’anime et que l’on s’échauffe à la lutte sans rien perdre de son sang-froid. Ces dons naturels avaient été développés chez lui par les hasards de sa vie et par l’habitude du commandement militaire. Ce qui lui donna l’idée de les appliquer à des recherches archéologiques, ce fut tout à la fois le loisir et l’exemple.

Pour un agent américain, le poste de Larnaca est ce que l’on appelle, par un de ces euphémismes où se complaît le langage diplomatique, un poste d’observation. Pas d’intérêts politiques, ni même d’intérêts commerciaux à défendre. En fait de nationaux à protéger, de loin en loin un passant, quelque touriste qui revient d’Égypte ou de Palestine. Tout le rôle de l’agent se borne à tenir son gouvernement au courant par sa correspondance. Or, il le comprend bien vite, plus ses dépêches seront courtes, plus elles auront chance d’être lues quelquefois. S’il avait, en entrant dans la carrière, quelque disposition à faire abus de la plume et à prendre trop au sérieux sa tâche de rapporteur, l’expérience l’a corrigé. Si consciencieux que l’on soit, on se lasse de noircir du papier pour remplir un carton vert. Une fois que l’on a modéré sa plume, on a bien du temps à soi. Comment l’employer, si l’on n’est pas un de ces sots qui se résignent au désœuvrement et à l’ennui ? Cela dépendra des lieux et des goûts. Ici l’on demandera des distractions à la chasse ou à la pêche ; ailleurs on en trouvera dans la géologie ou l’histoire naturelle, dans l’étude d’un pays sauvage ou de mœurs singulières. Là où tout est plein encore des traces et des restes de l’antiquité, on se trouvera conduit, par les occasions et les tentations qui s’offrent de toutes parts, à s’occuper peu ou prou d’ar-