Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
602
REVUE DES DEUX MONDES.

sujets, qui appartiennent à la mythologie grecque, par leur style, où l’on sent l’influence de l’art grec qui se dégage et s’émancipe de ses modèles orientaux, plusieurs intailles méritent de compter parmi les plus anciens et les plus curieux produits de la glyptique grecque. Les bijoux proprement dits sont souvent d’une richesse d’invention, d’un fini et d’une délicatesse de travail qui étonnent ; par leur merveilleuse élégance, quelques-uns d’entre eux se rangent parmi les chefs-d’œuvre de cette orfèvrerie orientale et grecque archaïque dont fait si grand cas M. Auguste Castellani, cet érudit doublé d’un artiste ; il la place bien au-dessus de la bijouterie étrusque, selon lui beaucoup trop admirée et vantée[1].

Malgré son bonheur persistant, M. de Cesnola ne pouvait guère espérer retrouver une pareille chance. Ses nouvelles fouilles avaient absorbé la plus grande partie de ses ressources. De plus, la santé des siens commençait à souffrir de ce long exil, et Mme de Cesnola avait l’imagination vivement frappée d’une catastrophe toute récente. En 1875, un jeune savant allemand de grande espérance, le docteur Sigismund, qui avait contribué au déchiffrement des inscriptions cypriotes, était venu passer quelque temps dans l’île ; en visitant les ruines d’Amathonte, il se laissa tomber dans un des puits qu’avait creusés M. de Cesnola pour atteindre l’entrée des sépultures ; on n’en retira que son cadavre. Pareil accident n’arriverait-il pas, un jour ou l’autre, à l’infatigable explorateur des ruines et des nécropoles de Cypre ? Enfin la nouvelle collection formée depuis trois ans, qui comprenait tout le trésor de Curium, avait vraiment une trop haute valeur pour qu’il fût prudent de la confier aux flots, comme la précédente, sans que son maître fût là pour veiller sur elle et pour en discuter le sort, pour en fixer les destinées.

Ce fut au printemps de 1876 que M. de Cesnola quitta l’île avec sa famille, cette fois sans esprit de retour. Lorsqu’il en vit les montagnes décroître et s’effacer à l’horizon, il ne put, nous dit-il, se défendre d’un sentiment de regret. Quoi que lui réservât en effet la vie des capitales de l’Occident, de Paris, de Londres ou de New-York, jamais elle ne lui offrirait des émotions comparables à celles que lui avaient données ses campagnes de fouilles, au plaisir de

  1. Les plus beaux bijoux du trésor de Curium sont représentés dans les planches du livre de M. de Cesnola, mais sans le secours de la couleur ; ils mériteraient de faire l’objet d’une publication qui appellerait à son aide toutes les ressources de la chromolithographie. On a pu voir à l’exposition universelle des reproductions exactes des principaux d’entre eux, dans la vitrine de M. Tiffany, le grand bijoutier de New-York. Celui-ci en avait copié la matière et la forme avec une intelligente fidélité, que M. de Cesnola louait lui-même sans réserve ; il craignait toujours, disait-il, de confondre les originaux et les copies.