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le temps de cette relâche forcée. Sa gaîté communicative lui recruta des partisans parmi les matelots et parmi les soldats. On se mit au travail et, avant qu’Eurymédon pût reprendre la mer, une enceinte de pierres brutes assemblées sans ciment avait garni la face de la presqu’île qui regarde la terre ferme. Ce fut l’affaire de six jours. Démosthène se déclara prêt à garder cette ébauche d’ouvrage avec cinq vaisseaux ; Eurymédon consentit à les lui laisser.

Démosthène n’avait pas exagéré l’importance du poste avancé qu’il attachait, épine irritante, au flanc de la Laconie. Cette simple menace dégagea subitement l’Attique dévastée en ce moment par les Péloponésiens. Sparte n’eut plus qu’une pensée : reconquérir l’aride rocher de Pylos. Sa flotte portée au chiffre de soixante vaisseaux, son armée ramenée précipitamment de la plaine d’Athènes, elle voulut tout consacrer à cette entreprise. Démosthène prévit-il jamais un tel déploiement de forces ? Il est jusqu’à un certain point permis d’en douter. Le joyeux général ne perdit pas cependant la tête. Les galères furent tirées à terre, et on les entoura d’une forte palissade ; n’ayant plus à défendre leurs navires, les équipages doubleraient le chiffre de la garnison. Le difficile était d’armer ces rameurs dont on prétendait faire des hoplites ; deux corsaires messéniens arrivèrent fort à propos à Pylos. On leur prit toutes les armes qu’ils avaient à bord, et, à défaut de boucliers de cuir ou de métal, on en fabriqua d’osier. Le côté de la presqu’île qui tenait au continent se trouva ainsi suffisamment garni. Quant aux falaises qui regardent la haute mer, elles se défendaient d’elles-mêmes ; Démosthène s’y posta toutefois avec soixante hoplites.

Les Lacédémoniens s’étaient répandus tout autour de la baie, mais leurs troupes se seraient en vain déployées sur ce rivage beaucoup trop éloigné de Pylos ; elles n’y auraient été d’aucun secours pour la flotte. Si l’on voulait fournir un point d’appui aux vaisseaux qui viendraient assaillir Pylos, il fallait occuper l’île de Sphactérie. Cette île étroite et longue forme en effet, à elle seule, tout un côté de la rade dont le vaste bassin eût, sans qu’elles s’y pressassent, reçu et abrité les escadres de la Grèce entière. Les Lacédémoniens débarquèrent sur Sphactérie quatre cent vingt hoplites, c’est-à-dire quatre cent vingt chevaliers, la meilleure noblesse de Sparte. Pas de chevaliers sans valets ; les hoplites emmenèrent avec eux leurs ilotes, Les ilotes, on le sait, si braves qu’ils pussent être, ne comptaient pas aussi eût-il mieux valu ne compromettre que des ilotes dans ce débarquement imprudent. Mal assurée de la domination de la mer, Sparte, en plaçant ses hoplites dans une île, les mettait, si les choses tournaient mal à la merci d’Athènes.

Pour le moment, la flotte athénienne n’était pas à craindre, puisqu’elle avait poursuivi son chemin vers Corcyre et qu’il lui