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les navires qu’on trouverait rassemblés dans les ports de la Laconie. Elle renonçait à la mer ; la mer était le domaine d’Athènes ; qu’Athènes la gardât, mais qu’Athènes lui rendît au moins ses enfans !

Athènes ne trouva pas la rançon suffisante. Elle était retombée sous le joug de Cléon. Honteux du subit accès de clémence qui avait sauvé Mytilène, le vieux Démos, aussi crédule qu’Hérode, venait d’immoler à l’ascendant un instant méconnu de la Salomé qui le charmait un millier d’otages mytiléniens. La politique sans faiblesse et sans compromis reprenait le dessus. Cette politique cruelle, inexorable, était pleine de péril ; dans la circonstance présente, on ne peut nier qu’elle ne fût encore la meilleure. Périclès lui-même, Périclès l’olympien, n’en eût pas conseillé d’autre. Le gage détenu était inappréciable ; pour s’en dessaisir, il fallait être sûr d’arriver à la paix, d’y arriver avec pleine satisfaction donnée aux exigences qu’on avait formulées dès le début. Tel fut le conseil de Cléon. Peu scrupuleux quand il s’agissait de la grandeur de sa patrie, Cléon émit en même temps l’avis de commencer par accepter les soixante trières, sous promesse de les restituer si les négociations qu’Athènes consentait à ouvrir n’aboutissaient pas. Les soixante trières furent livrées, et un armistice fut conclu. Pendant la durée de cette trêve, les hoplites enfermés dans Sphactérie pourraient recevoir une quantité déterminée de vivres. Des plénipotentiaires avaient été nommés de part et d’autre ; ils s’abouchèrent, discutèrent longuement et ne purent tomber d’accord. « Rendez-nous nos trières, » dirent alors les Spartiates. Plutôt que de les rendre, Cléon, comme Aristide, aurait voué sa tête aux dieux infernaux. Il était cependant singulièrement difficile de manquer aussi ouvertement à la foi jurée. Que l’on connaît mal la conscience élastique des peuples ! N’avait-on pas stipulé que la moindre infraction au traité en annulerait de fait toutes les clauses ? Eh bien, les Lacédémoniens avaient, pendant qu’on négociait, violé la convention conclue ; ils l’avaient violée en s’approchant indûment des remparts de Pylos. De quel droit venaient-ils donc réclamer aujourd’hui leurs vaisseaux ?

Sparte ne possédait plus de flotte ; les forces navales d’Athènes venaient au contraire de se grossir d’une nouvelle division. Soixante-dix navires occupaient la baie de Navarin et bloquaient l’île de Sphactérie. La surveillance du côté du large demeurait seule imparfaite. Quand les vents soufflaient de l’ouest, les croiseurs n’avaient qu’un parti à prendre : lever le blocus et rentrer précipitamment au port. C’était le moment où l’on pouvait essayer de faire passer quelques provisions aux assiégés. Séduits par l’appât de la liberté, qui en cas de succès leur était promise, les ilotes de Lacédémone en tentaient volontiers l’aventure. Les barques étaient payées