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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/633

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harangues. Le métier n’était-il donc pas périlleux ? Plus rebutant que périlleux peut-être, car il offrait toujours à ceux qui avaient vieilli dans la profession et qui en connaissaient bien toutes les ressources un moyen à peu près infaillible de se soustraire aux conséquences d’un avis imprudemment donné ou suivi de quelque résultat funeste. Ce moyen consistait à chercher le bélier dans le buisson et à le traîner sous le couteau du sacrificateur. « Vous regrettez maintenant, dit Cléon, d’avoir repoussé les propositions des Lacédémoniens. Ces propositions n’étaient pas en rapport avec la situation désespérée de vos ennemis ; je vous ai, en effet, conseillé de les repousser. Si vos généraux avaient fait leur devoir, les assiégés de Sphactérie seraient depuis longtemps dans vos prisons. » — « Prenez le commandement, lui crie Nicias ; je vous l’abandonne. — Oui ! oui ! répète de toutes parts la multitude, avec un malicieux et ironique enthousiasme, que Cléon s’embarque ! » Cléon accepte. Fait-il contre mauvaise fortune bon cœur, ainsi que l’insinue peu charitablement Thucydide ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il accepte : n’en demandons pas davantage. « Je n’ai pas peur des Lacédémoniens, dit Cléon, et, pour vous le prouver, je n’emmènerai pas dans cette expédition un seul citoyen d’Athènes. Qu’on me donne des troupes de Lemnos et d’Imbros, des peltastes d’Énos et quatre cents archers, c’est tout ce qu’il me faut pour avoir raison des terribles Spartiates. Dans vingt jours je vous amène ici ceux qui ne se seront pas fait tuer sur place. » On rit, et Cléon part.

S’il avait la forfanterie qu’on prête aux Gascons, Cléon, « le bon aboyeur, » en possédait au moins le flair. Il savait qu’à Pylos se trouvait un des meilleurs généraux d’Athènes, et que ce général songeait depuis longtemps à faire une descente sur Sphactérie « Démosthène et moi, se dit-il, nous viendrons bien à bout de ce qui effraie Nicias, le prudent vainqueur de Mélos et de Minoa, l’homme aux machines de guerre. » Sur sa demande expresse, le peuple adjoint à Cléon Démosthène pour collègue.

Dès le premier jour qui suit son arrivée à Pylos, Cléon somme les assiégés de Sphactérie de livrer leurs armes et de se constituer prisonniers. Les Spartiates refusent avec hauteur. Le lendemain, un peu avant l’aurore, huit cents hoplites athéniens sont dans l’île. Cléon et Démosthène les ont fait embarquer de nuit sur les vaisseaux et les ont débarqués sur deux points à la fois. Le poste de garde qui surveillait Pylos est surpris ; pas un soldat n’échappe. Aux premières lueurs du jour, le reste de l’année et la majeure partie des marins sont jetés rapidement à terre ; on ne garde à bord qu’un homme par banc. Sept mille matelots, huit cents archers, un nombre égal de peltastes, un corps de Messéniens