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droit de régler le salaire. On sait qu’en Angleterre, en cas de grève, maîtres et ouvriers soumettent souvent leur différend à la décision d’un arbitre. Il s’agirait de constituer des corps d’arbitres permanens et d’accorder force exécutoire à leurs décisions.

De 1866 à 1870, les préoccupations extérieures absorbèrent l’attention, et l’économie politique orthodoxe l’emporta dans les chambres et dans les conseils du gouvernement. Elle y était représentée par des hommes distingués, tels que le ministre Delbruck, les députés Lasker, Braun, Bamberger, Julius Faucher, etc. C’est à leur influence qu’on doit l’abolition des lois contre l’usure, une politique libre-échangiste manifestée par l’abaissement ou la suppression de certains droits de douane et la réforme monétaire sur la base de l’étalon d’or, nécessitant la vente forcée de l’argent. Le chancelier de l’empire a laissé faire parce que « ce n’était pas son département. » Mais ses idées ne sont point du tout celles de l’économie orthodoxe. Aussi les protectionnistes ont-ils toujours espéré en lui[1]. Au fond, M. de Bismarck est le type du socialiste-conservateur. Il est inutile de montrer en quoi il est conservateur ; voici comment il est socialiste. M. de Bismarck admet qu’il y a une question sociale et qu’il faut s’efforcer de la résoudre ; or tout est là. Pour l’économiste orthodoxe il n’y a point de question sociale : il ne dit pas que tout est parfait ici-bas : la statistique le lui défend ; mais il prétend que tout se règle au mieux possible par le libre jeu de l’initiative individuelle agissant sous l’impulsion de l’intérêt. Cela étant, l’état n’a rien à faire qu’à trancher les dernières entraves qui gênent encore la concurrence universelle, tant au dehors qu’au dedans du pays. Telle n’est pas du tout l’opinion de M. de Bismarck. Ce n’est pas en vain qu’il a pris aux entretiens de Lassalle tant de goût qu’il eût souhaité de l’avoir pour voisin de campagne et pour visiteur quotidien. Sur son uniforme blanc, le rouge a visiblement déteint. Il croit qu’il est juste et bon que la condition des classes laborieuses s’améliore, et il pense que l’état doit venir en aide à leur relèvement. Lassalle demandait à l’état 100 millions de thalers pour transformer l’ordre social actuel en fondant des sociétés coopératives de production. Quoique M. de Bismarck s’indigne de ce qu’on l’ait cru capable de traiter de

  1. J’assistais en 1875, à Eisenach, au Congrès de la science sociale ou des Katheder-socialisten. Dans la première séance M. Rudolph Meyer se leva pour proposer de mettre à l’ordre du jour la question de la situation de l’industrie allemande et celle des moyens de porter remède à la crise intense qu’elle traversait. Comme M. Meyer était l’ami du conseiller Wagener, le bruit s’était répandu qu’il était venu à Eisenach, envoyé par le chancelier, pour obtenir un vote en faveur du protectionnisme. Pour échapper à ce danger, le bureau fit remarquer que la question, ne se trouvant pas inscrite au programme du congrès, ne pourrait être discutée. En ce moment, les journaux publient une lettre de M. de Bismarck où il expose nettement ses idées protectionnistes.