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commune des sexes beaucoup plus intimes, de même que chez nous à la campagne. Ces mœurs, tout en se transformant et en s’accommodant à une civilisation plus assise, auront néanmoins jeté de profondes racines, et quelques-uns des faits qui nous étonnent doivent avoir là leur explication[1].

Mais à côté de la question de moralité, où nous n’avons pas à être plus sévères que les Américains eux-mêmes, qui ont assez d’intérêt à préserver leurs mœurs pour que nous nous en rapportions à eux en ce qui les concerne, il y a une autre question qui intéresse tous les pays parce qu’elle touche à la nature de l’intelligence féminine, aux aptitudes de la femme, à ce que la société lui doit, à ce qu’elle peut elle-même devoir à la société : c’est la question de l’égalité ou de l’identité des études entre les deux sexes. C’est ici que beaucoup de doutes très légitimes peuvent se présenter à l’esprit, et M. F. Buisson, avec une grande discrétion, s’est fait l’interprète de ces doutes que nous partageons avec lui.

Il faut ici se garder de plusieurs sophismes assez difficiles à démêler, car la justesse de l’esprit consiste à discerner une idée juste d’une idée fausse immédiatement voisine de celle-là. Par exemple, autre chose est dire que les femmes doivent s’instruire et même très solidement, autre chose prétendre qu’elles doivent apprendre les mêmes choses que les hommes. En outre, autre chose est dire avec les publicistes américains que la femme a le même droit que l’homme à apprendre certaines choses, autre chose dire que l’éducation publique doit être commune et égale pour les deux sexes. Ces questions ont une si haute importance dans le mouvement qui se produit chez nous en faveur de l’instruction des femmes qu’on nous pardonnera d’y insister quelques instans. Nous sortons, il est vrai, un peu du domaine de l’instruction primaire ; mais c’est M. Buisson qui nous entraîne avec lui sur ce terrain.

Sans doute il faut instruire les femmes et plus qu’on ne l’a fait encore jusqu’à présent parmi nous : sans vouloir juger ce qui se passe dans les autres pays, on peut dire qu’en France en particulier l’éducation des filles n’a pas été conduite avec l’esprit de méthode qu’on aurait pu désirer. Il a été donné beaucoup plus à la mémoire qu’à l’intelligence, beaucoup plus aux arts d’agrément qu’à l’instruction solide. Il n’est pas douteux que les facultés de la femme ne puissent, sans être le moins du monde forcées, s’élever beaucoup au-delà de la moyenne où l’on s’est arrêté jusqu’ici. De nombreux essais très légitimes et souvent heureux, mais dispersés, ont été tentés, et un pas décisif vient d’être fait par une proposi-

  1. Il y aurait aussi lieu de se demander si ce fait ne pourrait pas avoir une signification physiologique ou climatologique. Par exemple, est-il le même à toutes les latitudes, au sud comme au nord ? On comprend l’importance de oc point de vue.