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remettaient au Reichstag du soin de défendre envers et contre tous les droits que lui attribue la constitution. Il est douteux au reste que le conseil fédéral consente à accompagner le chancelier dans les chemins hasardeux où il se flattait de le conduire ; la complaisance a ses limites, et les faibles ont des pudeurs avec lesquelles les puissans doivent compter. On assure que le gouvernement bavarois a donné à ses délégués l’ordre de se prononcer contre le projet, et que cet exemple sera suivi. Déjà les feuilles officieuses, qui ont pris le vent et qui sentent qu’il est contraire, insinuent que M. de Bismarck est disposé aux transactions, qu’il a demandé beaucoup pour obtenir peu. Que lui reviendra-t-il de cette malencontreuse campagne ? Elle n’aura servi qu’à mécontenter ses amis, à réjouir ses adversaires, à prouver que sa haute et lumineuse raison est sujette à des éclipses, que ce grand politique fait quelquefois de la politique de fantaisie.

Ce ne sont pas seulement ses plans de réforme économique, ni ses entreprises contre la liberté de la tribune qui inquiètent en ce moment l’Allemagne ; elle s’occupe et se préoccupe beaucoup des négociations qu’il a entamées avec le Vatican et dont elle s’efforce de pénétrer le mystère. C’est avec l’appui, avec le chaleureux concours des libéraux qu’il avait ouvert et poursuivi les hostilités contre Rome. Le jour où il s’écria qu’il n’irait jamais à Canossa, sa popularité n’eut plus de bornes. La petite bourgeoisie des grandes villes abjura ses vieilles rancunes, ses vieilles méfiances à son égard ; les parlementaires lui pardonnaient ses méfaits contre le parlement, les professeurs ne lui en voulaient plus de les avoir souvent persiflés, les maîtres d’école entonnaient des hosannas à sa louange et le proclamaient le glorieux héritier de Luther. Tout à coup, au lendemain des criminelles tentatives de Hœdel et de Nobiling, le bruit se répandit qu’alarmé du progrès des idées subversives en Allemagne, il avait été touché d’un soudain repentir, qu’il se proposait de rompre à jamais son pacte d’alliance avec les libéraux, les professeurs et les maîtres d’école, qu’il avait formé le dessein de grouper en un seul faisceau toutes les fractions du parti conservateur, y compris les catholiques, et qu’à cet effet il songeait sérieusement à renouer avec le Vatican.

Quand on apprit qu’à Kissingen il avait employé les loisirs que lui laissait sa cure à converser à huis clos avec Mgr Aloysi Masella, les imaginations s’émurent, s’échauffèrent. On alla jusqu’à prétendre qu’il avait offert au nonce l’abolition des lois de mai et la tête du docteur Falk, qu’il allait se mettre en route pour Canossa. A la vérité on admettait qu’il s’y présenterait à cheval, la cravache à la main ; mais qu’on y aille à cheval, à pied ou à genoux, on en revient toujours diminué, après avoir perdu, comme dit Homère, la moitié de son âme. C’était bien mal connaître M. de Bismarck, il n’y a pas en lui l’étoffe d’un pénitent. Il est à croire qu’à Kissingen comme ailleurs, il a, selon son