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Dieu a donné la douceur de l’existence sans aucun des fardeaux de la vie humaine :

Ou plutôt, tour à tour source, oiseau, chêne ou rose,
Vous avez recueilli l’esprit de toute chose,
Et des êtres divers traversés jusqu’à nous
Gardé ce qu’en chacun Dieu sema de plus doux.
Comme au seuil d’un tombeau, triste au moment de naître,
Devant l’humanité vous hésitiez peut-être ?


Elle hésitait, elle hésite encore, la mystérieuse Hermia, et c’est pour ne pas se mêler à l’humanité qu’elle prolonge sa condition première. Rien de plus charmant que le tableau de cette existence miraculeuse. La nature obéit à la vierge, sans que la vierge ait besoin de commander. Il y a là tout un chapelet de légendes à rendre jaloux les mystiques rêveurs du XIIIe siècle. Les pâtres, témoins de ces merveilles, en parlent longuement dans les veillées du soir. « Avez-vous remarqué l’autre jour les larmes qui coulèrent de ses yeux, quand elle vit ce nid tomber du haut d’un arbre et toute la couvée gisant sur le sol ? Le lendemain, à l’endroit où ses larmes avaient coulé, des rameaux sortaient de terre chargés de fleurs inconnues à nos climats. » Partout où elle va, l’herbe croît plus fine et plus verte ; partout où elle s’assied, les champs se vêtent de roses. Ne semble-t-il pas voir la sainte Elisabeth du panthéisme poétique ?

L’heure a sonné pourtant où l’enfant devient une jeune fille, où la jeune fille peut devenir une femme. Heureux qui possédera un tel trésor ! Plus d’un y aspire, parmi les jeunes pâtres de la montagne, mais je ne sais quel respect tient les amoureux à distance. Une seule fois, Hermia consentit à laisser naître une amitié discrète entre elle et un jeune homme, disciple aussi, disciple enthousiaste et candide de la nature adorée. Doux entretiens ! chastes délices ! études ravissantes dans le livre des fleurs et des arbustes ! Ici, la poétique fée nous apparaît comme sur le seuil de la destinée humaine. Va-t-elle le franchir, ce seuil d’un monde nouveau, et mettre sa main pour toujours dans la main de celui qui l’aime ? Non, à l’heure où un sentiment plus vif que l’amitié fait un instant fléchir son âme, l’âme a peur, l’âme s’enfuit, Hermia s’affaisse et meurt.

Une fois le sujet accepté, c’est une création délicieuse que ce poème d’Hermia. L’auteur y a déployé une légèreté de touche, une délicatesse de sentiment dignes des plus grands éloges. Il fallait un art consommé pour donner le relief de la vie à des pensées aussi subtiles. Cela fait penser pour la féerie de certains détails au Songe d’une nuit d’été du grand Shakspeare, aux Idylles du roi de