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certaines pièces, l’absence de contours arrêtés, la monotonie des teintes, l’emploi trop fréquent des grisailles, il se dit courageusement :

Songe à ton œuvre aussi ; sculpte un vers trop confus,
Émonde tes rameaux aux jets gris et touffus,
Poursuis la couleur nette et la forme finie,
Va dorer ta statue au soleil d’Ionie ;
Apprends des maîtres grecs les secrets du contour,
Sans fermer ton oreille aux maîtres de l’amour.
Fais ton livre émouvant, mais de style sévère,
Beau vase athénien plein de fleurs du Calvaire !


Nobles conseils que le poète met immédiatement à profit. Le voilà, ce vers sculpté, ce vers de marbre et d’or, vase attique empli de fleurs chrétiennes.

Avais-je tort de dire que la rénovation intérieure du poète était l’œuvre d’une évolution toute naturelle et qu’au fond il n’avait pas à répudier ses amours d’autrefois ? Quand il rencontre Jésus dans les campagnes de la Judée, quand il se mêle à la foule et recueille tant de paraboles charmantes, tant d’images empruntées aux scènes de la nature, il résume la prédication du divin maître sous ce titre à la fois aimable et hardi l’Évangile des champs ; et de ce rustique évangile, de cet évangile tout souriant, tout fleuri, tout printanier, il tire la justification de ses juvéniles ardeurs. Il se trompait sans doute, et bien gravement, quand la nature lui apparaissait comme l’être par excellence, mais il n’avait pas tort d’aimer cette nature où Jésus a puisé ses paraboles. La nature n’est donc pas maudite ; puisque Jésus l’a aimée lui aussi, il peut continuer à l’aimer, à la chanter en ses vers, comme l’œuvre de la puissance infinie et de l’infinie bonté. L’esprit chrétien a tout remis en sa vraie place. Le christianisme n’a pas détruit le vieil homme, il l’a relevé ; il n’a pas condamné l’antique nature, il l’a revêtue d’une beauté plus haute.

Cette largeur de sentimens, cette théologie sans nulle prétention, mais si neuve et si originale, n’était pas faite pour obtenir grâce auprès des esprits de ténèbres ; l’auteur des Poèmes évangéliques avait droit aux injures des pharisiens et ces injures ne lui ont pas manqué. M. de Laprade, si j’en juge par ses vers, n’en a été ni affligé ni surpris. Ce n’est pas de ce côté-là qu’il cherchait de nouveaux soutiens. Une des choses les plus touchantes, et, à mon avis, les plus chrétiennes de son livre, c’est la préoccupation qu’il témoigne de rester fidèle à ses anciens maîtres de poésie et d’art. De même qu’il a gardé son amour des bois et des hautes cimes tout en rectifiant son inspiration première, il n’a jamais pensé que ses nouvelles croyances dussent le séparer des compagnons de sa jeunesse. Je pourrais citer tel de ses poèmes où il emmène avec lui