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ingrats envers Dieu et mécontens de nous-mêmes si cette moisson de vérité depuis longtemps semée dans le monde vient enfin de mûrir ? » Voilà ce qu’il convenait de dire à cette société élégante pour vaincre ses préventions et l’attirer à la foi nouvelle. Nous savions déjà de quelle manière l’Évangile s’est répandu chez « les foulons et les cordonniers ; » le livre de Minucius nous montre comment on le prêchait aux gens du monde.


II

Nous voici arrivés à celui qui fut le plus vigoureux ennemi du christianisme au second siècle. Il convient de s’arrêter un moment devant cette énergique figure. C’est un hasard, et un hasard fort heureux, qui nous a conservé la plus grande partie du « Discours véritable » de Celse. Vers le temps d’Alexandre Sévère, un chrétien pieux, qui sans doute l’entendit vanter par des païens dans des polémiques religieuses, eut l’idée de le signaler à Origène, qui était alors le grand docteur de l’église, et de lui demander d’en faire une réfutation. Origène ne connaissait pas l’ouvrage, et il n’en saisit pas du premier coup toute la portée. Il pensa d’abord qu’il suffisait d’y répondre à grands traits et sans insister sur les détails ; mais en avançant il s’aperçut que l’adversaire était plus sérieux qu’il ne le croyait, et méritait une réfutation minutieuse et complète. Il se mit donc à le suivre pas à pas, et, pour qu’on ne pût pas l’accuser d’affaiblir ou de dénaturer ses raisonnemens, il s’astreignit autant que possible à reproduire ses expressions.

Ainsi Celse à peu près entier se trouve dans Origène : c’est ce qu’on avait toujours soupçonné ; c’est ce qu’un savant français, M. J. Denis, a récemment établi avec beaucoup de détails et une grande abondance de preuves. Il ne restait qu’à tirer le petit livre du philosophe païen de l’ouvrage où son contradicteur l’a si longuement réfuté. Un théologien de l’université de Zurich, le docteur Keim, l’a fait en 1873 dans un livre intitulé Celsus’ wahres Wort, qui contient quelques opinions contestables, mais où la plupart des questions qui concernent Celse sont traitées d’une manière définitive. M. Aubé, dans le volume que nous étudions, a cru devoir reprendre le même travail. Il a beaucoup emprunté à son devancier, mais à l’occasion il le discute et le complète. Nous avons, grâce à lui, le traité, de Celse traduit pour la première fois en français. Il ne nous le rend pas tout entier sans doute, et Origène en a plus supprimé qu’il ne le dit ; mais l’essentiel y est, et depuis qu’on peut le lire de suite, sans être arrêté à tout moment par des contradictions et des réfutations indigestes, il me semble qu’on en saisit mieux l’importance. Tel qu’il est, et malgré les lacunes qui le déparent, c’est en quelques