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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/876

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les deux places. Nos grenadiers prirent aussitôt possession de l’ouvrage abandonné.

Montcalm n’était pourtant pas sans inquiétude. Le général Webb campait en haut de la rivière Osvego, à quelques lieues du théâtre des opérations. En tout cas, on pouvait espérer faire tomber Chouegen avant que Webb eût mis ses colonnes en mouvement ; un coup d’audace affolerait peut-être la garnison. C’est à cette tentative désespérée que se résout Montcalm. Avec la promptitude d’action qui le rend si redoutable, il transporte l’attaque sur le fort de Chouegen. Il change ses batteries, les établit sur la crête de l’Osvego et foudroie l’ouvrage anglais, tout en rendant intenable le chemin qui le relie au fort Georges. Il donne alors au capitaine de Rigaud l’ordre de culbuter les troupes postées entre les deux forts et de se loger sur les positions conquises. Les Canadiens traversent la rivière sous un feu des plus vifs, se forment sur l’autre rive et s’élancent avec des cris furieux sur les pentes qui leur font face. Cette charge impétueuse met en fuite les compagnies anglaises. Nos soldats couronnent aussitôt les hauteurs qui dominent les retranchemens où flotte le drapeau de l’Angleterre.

Le nombre des batteries françaises, la rapidité de leur construction, l’étroitesse de l’investissement, la configuration du terrain qui masquait la faiblesse de nos troupes, la furie du bombardement, la conviction qu’aucun secours n’était proche, l’impétuosité de l’attaque de Rigaud, avaient enlevé aux Anglais toute espérance. La mort du colonel Mercer augmentait encore la démoralisation. Aussi le là, le commandant Litthleales se résignait à arborer le drapeau blanc. Montcalm exigea que la garnison se rendit prisonnière de guerre et que le fort avec tout le matériel fût livré à la France. Une heure après, la convention était signée. Les hurlemens des sauvages étaient pour beaucoup dans la rapidité dont les Anglais faisaient preuve. Les Peaux-Rouges couraient çà et là comme des furieux en brandissant leurs couteaux, et malgré les précautions prises, dès qu’ils se virent par la capitulation frustrés d’un pillage fructueux, ils se précipitèrent sur des prisonniers isolés et les massacrèrent. Montcalm se jeta au milieu de la mêlée et parvint à calmer les sauvages par la promesse de riches présens : « Il en coûtera au roi, écrit-il, 8 à 10,000 francs pour empêcher la violation du traité ; mais il n’y a rien que je n’eusse accordé plutôt que faire une démarche contraire à la bonne foi française. » Un an plus tard, Montcalm ne devait pas être aussi heureux ; il ne pouvait empêcher ces barbares d’ensanglanter son triomphe.

Les Anglais voyaient déjà Montcalm envahir la Nouvelle-Angleterre. Pour l’arrêter, Webb prenait position à la tête du lac Saint-Sacrement, Winslow se retranchait à cheval sur les routes du lac