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saurait convenir à Dieu. » Cet argument, dirigé contre le Dieu des chrétiens, se retourne à plus forte raison contre ceux de la fable, qui vivent avec les hommes et qui leur ressemblent. Celse ne l’ignore pas, mais la mythologie populaire lui est indifférente, et il laisse percer à plusieurs endroits le dédain qu’il ressent pour elle. À aucun prix, il ne veut d’un Dieu matériel, et c’est ce qui lui fait repousser avec tant d’énergie la manière dont les Juifs racontent la création. « Non, il m’est pas permis de dire que Dieu parle et qu’il travaille, car il n’a ni main, ni bouche, ni rien de ce que vous lui attribuez ; non, Dieu n’a pas fait l’homme à son image, parce qu’il n’a pas la forme de l’homme, ni d’aucune autre chose sensible. Il ne s’est pas reposé le sixième jour comme un lâche ouvrier que le travail fatigue et qui a besoin de chômer pour se refaire. » Voilà, à ce qu’il semble, un défenseur du paganisme qui compromet sa cause. Sous prétexte de combattre le Dieu de la Bible, il s’éloigne étrangement aussi des divinités de la fable. Il y revient pourtant, grâce à la théorie platonicienne des démons, qui fut si commode aux grands esprits de ce temps pour s’accommoder avec les religions populaires. Si le grand Dieu reste immobile dans le ciel, les démons, sorte de divinités intermédiaires, ministres et serviteurs du Dieu suprême, sont chargés par lui de veiller sur le monde et de distribuer ses bienfaits aux hommes. C’est à eux que Celse rapporte tous les récits de la mythologie. Les dieux antiques perdent ainsi beaucoup de leur importance, puisqu’ils sont tous relégués au second rang, et, de maîtres qu’ils étaient, deviennent des serviteurs. On doit néanmoins les adorer, car ils peuvent nous être fort utiles, et le grand Dieu n’en sera pas plus jaloux que le grand roi ne songe à se blesser des hommages qu’on rend à ses satrapes. Telles étaient les théories religieuses de Celse et de beaucoup d’esprits distingués de cette époque. Elles ne semblaient pas de nature à faire des fanatiques : des philosophes qui n’acceptaient les divinités populaires qu’au moyen d’un compromis ne pouvaient pas être bien ardens pour elles ; comme ils n’y croyaient guère pour leur compte, ils n’étaient pas disposés à verser le sang de ceux qui n’y voulaient pas croire. À la vérité, Celse subit par momens l’influence de son siècle, qui était porté à la dévotion. Il ne parle de Dieu qu’avec une émotion sincère, et déclare « que ceux qui ont l’âme pure se portent d’un élan naturel vers lui et ne désirent rien tant que de diriger toujours de ce côté leur pensée et leur entretien. » Sa religion, toute vague qu’elle est dans ses principes, a parfois des élans pleins de passion. « Jamais, dit-il, en aucune occasion, il ne faut abandonner Dieu, ni en public, ni en particulier. Nous devons continuellement, et dans nos paroles, et dans nos actions, et même quand nous ne parlons ni n’agissons, tenir notre âme élevée vers Dieu. » C’est tout