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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/888

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avec tranquillité sur les hauteurs de Carillon. Les fortifications du plateau étaient à peu près achevées, et l’armée avait peine à reconnaître la physionomie du terrain qu’elle avait quitté depuis quatre jours. Ce fut comme un coup de théâtre. Des exclamations et des vivats partirent de toutes les bouches. Une plaine jonchée d’arbres abattus avait pris la place de la forêt, et sur la crête du plateau, les lignes brisées des retranchemens se profilaient durement sur le ciel, se recourbant dans les lointains comme un vaste fer à cheval dont la pointe menaçante eût été tournée vers l’ennemi qui débarquait. Toute la journée du 7 et la matinée du 8 furent employées à perfectionner les remparts, dont la construction ne manquait pas d’originalité. C’était un amas de gros arbres, couchés l’un sur l’autre, fortement reliés entre eux et dont les branches taillées en pointe formaient comme des chevaux de frise. On couvrait ces parapets de rameaux verts, qui masquaient si bien le profil de la redoute que les ingénieurs envoyés en reconnaissance par Abercrombie n’hésitaient pas à déclarer dans leurs rapports que les travaux français ne consistaient qu’en abatis d’arbres incapables d’arrêter longtemps l’effort de bonnes troupes.

Abercrombie passait brusquement de la timidité à la confiance, du doute à la précipitation. Il connaissait maintenant la faiblesse des troupes de Montcalm, et il lui paraissait impossible qu’une armée de dix-sept, mille hommes ne parvînt pas à culbuter trois mille six cents Français exténués. Dans son infatuation, il se figurait que la retraite de Montcalm, sous le canon du fort n’était que le prélude d’une fuite et qu’il n’y avait qu’à prononcer une attaque vigoureuse pour décider la déroute des Français. Pour aller plus vite, il négligeait les précautions les plus élémentaires, et, pour ne pas être obligé de rétablir les ponts de la rivière à la Chute, il renonçait à se servir de son artillerie. Son plan d’attaque était de marcher à l’ennemi sur quatre colonnes et d’emporter tout à la baïonnette. C’était d’une stratégie simple et naïve. Le 8, il fit passer la rivière à ses troupes, et s’avança rapidement vers Carillon.

Tout y était prêt pour une résistance acharnée. M. de Lévis, qui venait d’arriver, avait le commandement de l’aile droite, où se trouvaient les Canadiens. M. de Bourlamaque fut chargé de la défense de la gauche. Montcalm s’était réservé le centre. Chaque régiment avait l’ordre de former en réserve la compagnie de grenadiers doublée d’un piquet.

À midi et demi, on entendit une vive fusillade dans la direction de la rivière à la Chute, et l’on vit bientôt les grand’gardes se replier lentement ; aussitôt toute la lisière du bois se couvrit d’une nuée d’Anglais qui sortaient de derrière les arbres. Quatre colonnes se