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longue série de dépositions qui, dans l’enquête actuelle, ont été consacrées à la défense des intérêts de chaque industrie ; mais on ne saurait négliger quelques traits particuliers qui caractérisent cette enquête et la distinguent de la précédente. Il faut observer d’abord que, malgré la discipline du parti protectionniste, quelques-uns des intérêts, autrefois coalisés contre notre réforme douanière, se sont détachés du gros de l’armée et s’opposent aux surtaxes que réclament leurs anciens alliés. Certaines catégories de tissage ne sont plus d’accord avec la filature ; les imprimeurs sur étoffes protestent contre les droits à l’aide desquels seraient protégés les produits chimiques, la laine peignée ne s’entend plus avec la laine cardée ; beaucoup d’industries sollicitent la suppression complète des droits sur la houille, pendant que les représentans des houillères déclarent que le maintien du tarif leur est indispensable, etc. Il n’y a, dans ces attitudes respectives, que la contradiction naturelle des intérêts ; les questions de principe demeurent tout à fait étrangères à ce débat intérieur de la protection ; mais il n’en résulte pas moins que toute augmentation sur le tarif actuel fera certainement plus de mécontens que de satisfaits. Si chacun veut être protégé pour les produits qu’il vend, chacun est disposé à considérer comme abusive ou excessive la protection dont profitent les produits qu’il achète. Les procès-verbaux des enquêtes trahissent en maints endroits le conflit qui existe désormais entre les industries différentes, quelquefois entre les branches spéciales d’une même industrie, et il est évident que, par l’effet de la division du travail, ces oppositions d’intérêts ne pourront que se multiplier. Avec la liberté des échanges ou avec les taxes très réduites, la difficulté disparaîtrait ; mais, sous le régime de la protection, elle devient presque insurmontable. La commission des tarifs a dû s’en rendre compte. Le parti protectionniste n’est plus aujourd’hui compact comme il l’était en 1860 ; il comprend des groupes qui se divisent en sous-groupes, à l’instar des partis politiques, et le moindre sous-groupe n’hésite pas, si son intérêt l’y convie, à déchirer l’ancien drapeau.

En même temps, la publicité très justement donnée à l’enquête, sa durée, les tendances protectionnistes qui se révèlent dans plusieurs passages de l’exposé des motifs, les mêmes tendances attribuées, à tort ou raison, à la majorité de la commission, toutes ces circonstances ont fait que nombre d’industries sont accourues à l’enquête avec un empressement inattendu et se sont ruées en quelque sorte à l’assaut du tarif. Pourquoi en effet ne pas protéger ceux-ci, quand on protège ceux-là ? Chacun n’a-t-il pas droit à une part de ce budget ? Et alors ont défilé devant la commission du tarif