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été si promptement reconnue et acceptée sans contestation par le pays comme par les gouvernemens étrangers ; mais il y aurait assurément le plus grand danger à se méprendre sur la nature et les limites de ce mouvement qui vient de s’accomplir, sur ce qui l’a rendu possible et sur ce qui peut lui imprimer le caractère d’une régularité durable.

Ce serait une étrange illusion de croire que parce qu’on recueille aujourd’hui le fruit de huit années de mesure et de prévoyance on va pouvoir se donner le luxe des folies ou des imprudences, que parce que M. Jules Grévy est à l’Elysée à la place de. M. le maréchal de Mac-Mahon, parce que la république a son président, ses ministres, il n’y a plus qu’a se livrer aux infatuations du succès, aux fantaisies, aux cupidités, à l’esprit de représailles ou de domination exclusive, aux épurations jalouses. Ce serait une singulière et désastreuse légèreté de se figurer que parce qu’on a le pouvoir on pourrait tout impunément, et qu’on est libre de tout se permettre. Plus que jamais, au contraire, les républicains ont besoin de s’observer et de se contenir, parce que c’est le moment décisif où ils vont être jugés à leurs œuvres, et où la république, elle aussi, va être jugée aux garanties de sécurité, d’ordre régulier, de protection sociale qu’elle offrira. Le terrain est déblayé, comme on dit, la voie est ouverte, le cadre des combinaisons parlementaires et ministérielles est désormais élargi, soit ; mais croit-on par hasard que ce qu’il y a de plus pressant et de plus utile pour la république, qu’on veut sans doute faire vivre, ce soit de rendre le gouvernement impossible, de s’exposer à aller de crise en crise, au gré des passions extrêmes ou futiles, de tout compromettre par une politique d’agitation, d’instabilité, de réhabilitations suspectes et de vengeances rétrospectives ? C’est là justement aujourd’hui le problème dont la solution dépend non-seulement de la fermeté tranquille de M. le président de la république, de la résolution du ministère, de ce que fera le sénat, mais encore et surtout de la promptitude avec laquelle il se formera dans la chambre des députés une majorité pour appuyer une politique de raison et de modération. Tout tient à la manière dont on va se mettre à l’œuvre, à la netteté avec laquelle on abordera quelques-unes de ces questions qui sont dans l’air, qui ont été artificiellement grossies et qui restent comme un poids sur la situation, jusqu’à ce qu’elles soient résolues ou écartées.

Que prétend-on avec ces propositions d’amnistie en faveur de l’insurrection de 1871, avec ces menaces toujours suspendues de mise en accusation des anciens ministres du 16 mai ? La vérité est que ces questions, dont le gouvernement et le pays ont certainement hâte d’être délivrés, n’ont que l’importance factice que des passions bruyantes leur donnent, une importance très disproportionnée avec l’intérêt supérieur qu’il y aurait à imprimer dès ce moment à la république le caractère des régimes réguliers, à l’abri de toute réaction. Il faut voir les choses