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tous les cas, que ceux qui seraient disposés à jouer aux crises ministérielles, à mettre au-dessus de tout leurs passions et leurs calculs y réfléchissent bien. L’existence, la durée de la république ne dépend pas sans doute de la présence au pouvoir de tels ou tels hommes ; mais elle dépend de la fidélité invariable à une politique sensée, modérée, prévoyante, et le jour où l’on dévierait de cette politique pour entrer dans la voie des agitations, tout serait bientôt compromis. On commencerait par des crises ministérielles, on arriverait bien vite à des crises plus graves, et, qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas pour le plaisir de prononcer le nom de la république que le pays resterait longtemps attaché à un gouvernement qui ne lui assurerait ni la paix ni la protection de ses intérêts les plus chers.

Depuis que la France, vaincue par la fatalité des événemens, a été réduite à ne s’occuper que d’elle-même et a encore assez de travail à se reconstituer, on ne peut plus l’accuser d’être la grande agitatrice, de menacer sans cesse le droit public et la sécurité universelle, On n’a plus comme autrefois la ressource commode de rejeter sur elle la responsabilité de tout ce qui arrive, de la représenter comme le boute-feu de toutes les querelles. Elle est assurément la première des puissances pacifiques ; elle s’est presque désintéressée des affaires du monde, ou du moins elle s’est imposé une stricte réserve de diplomatie, qui est un peu, si l’on veut, la conséquence obligée de sa situation intérieure, mais qui est aussi un système réfléchi et raisonné. Si elle va dans les congrès, c’est pour concilier de son mieux les différends ; quand elle se mêle aux questions qui s’agitent, c’est pour chercher les solutions les moins périlleuses, les plus compatibles avec la paix générale. Elle s’est fait une loi d’une impartiale neutralité, en se bornant à demander pour elle-même le respect de ses intérêts les plus élémentaires. Non, en vérité, la France n’est plus le trouble-fête universel, ses plus cruels ennemis en conviendront ; elle ne menace personne de ses velléités de prépotence ou de ses excitations, et on ne s’aperçoit pas cependant que l’Europe s’en trouve mieux. On ne voit pas que les traités soient plus florissans, qu’il y ait plus d’équité dans les rapports des peuples, dans les actes des gouvernemens, que la paix soit mieux assurée, que le droit soit moins exposé aux hardiesses de la force. Il n’y a plus le cauchemar de l’ambition française, et jamais peut-être la vie de l’Europe n’a été plus laborieuse, plus incohérente, plus incessamment menacée sous les apparences de la paix. Jamais, à parler franchement, il n’y a eu des relations plus précaires, des conventions moins sûres et un avenir moins garanti par un droit universellement accepté. Le droit public de l’Europe, c’est le secret des volontés omnipotentes qui se disputent aujourd’hui l’influence et qui ne sont pas ou ne seront pas toujours d’accord. La France du moins n’y est pour rien, elle peut se rendre cette justice. Qu’en sera-t-il maintenant de toutes