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sourd et cadencé des pas des chevaux amortis par l’herbe. La nuit était aussi claire que peut l’être une nuit sans lune. L’atmosphère, brumeuse les jours précédens, était d’une limpidité parfaite. En regardant le firmament scintillant d’étoiles et baigné de nuances laiteuses, on songeait involontairement à ces vers, qui expriment par une image charmante la transparence et le recueillement d’une nuit d’été :

Un vague demi-jour teint le dôme éternel,
Et l’aube douce et pale, en attendant son heure,
Semble toute la nuit errer au bas du ciel.


En regardant la terre, on comprenait vite que

Cette obscure clarté qui tombe des étoiles,


pour employer encore la juste expression d’un poète, était plus « obscure » que les contempleurs d’astres ne seraient tentés de le penser. Ces deux peintures de la nuit, si différentes, sont également exactes selon qu’on lève ou qu’on baisse les yeux. Malgré les tons nacrés du ciel, qui semblait déverser des nappes de lumière, j’avais de la peine à discerner la silhouette de notre guide, qui marchait à quelques pas en avant de nous.

La Croix du sud était presque en face de moi, brillant d’un si doux éclat qu’elle invitait à la contempler. Je remarquai en la regardant et fis remarquer au commandant Garcia que notre vaqueano inclinait insensiblement sur la droite. On se mit à l’observer, il ne tarda point à appuyer de nouveau sur la gauche. La direction générale restait la même sans doute malgré ces oscillations. Elles semblaient indiquer toutefois que la route à suivre n’était pas tracée dans sa tête avec la netteté ordinaire. Il n’est pas aisé de se jeter à la traverse d’opérations de mémoire, qui sont pour vous lettre close, et d’intervenir dans un travail mental dont on n’a pas la clé. On lui demanda pourtant s’il était sûr de son chemin, s’il n’éprouvait pas d’hésitation. Il n’en éprouvait aucune. Le transfuge, qu’on envoya interroger en même temps, ne savait pas de nuit suivre une direction. Il paraît que c’est le comble de l’art. Il croyait pourtant que nous faisions fausse route.

Vers dix heures du soir, nous devions nous trouver à environ une lieue des trois lacs, si nous n’étions pas égarés. On fit halte, et on envoya en avant les troupes chargées du coup de main sur les premiers toldos. Nous les suivions à un quart de lieue de distance. Quand nous les rejoignîmes, elles n’avaient rien trouvé. Cela devenait inquiétant. On détacha des éclaireurs. Ils ne rencontrèrent