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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/134

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en croupe d’un soldat et envoyé en toute hâte au commandant Garcia. On n’avait pas d’interprète sous la main ; on n’en eut pas besoin. Dans l’action, le commandant était merveilleusement laconique. « Catriel ? » L’Indien étendit la main et désigna le sud. Quelques ordres rapides, des aides de camp galopant de tous côtés, et nous voilà filant en droite ligne vers le sud, à travers ravins et broussailles, comme dans une course au clocher. Derrière nous, les troupes qui n’avaient pas encore donné changeaient de chevaux. Cela ne leur prit pas deux minutes. Les pelotons d’attaque, sabre au vent, allant un train d’enfer, nous atteignaient l’un après l’autre, prenaient les ordres en courant, et, s’éparpillant, couvraient la plaine de tourbillons de poussière. On avait modifié depuis peu l’équipement de la cavalerie pour l’approprier à la guerre indienne. On lui avait donné une cuirasse de cuir bouilli, et, selon les escadrons, des lances ou des revolvers. Les soldats étrennaient ce jour-là leurs armes neuves. On trouvait encore le temps, tout en jouant de l’éperon, d’admirer sous ce harnachement leur mine de lansquenets. Nous nous hâtions. La tête de la colonne était déjà au beau milieu de la tolderia.

On distinguait à l’horizon sept ou huit bouquets d’arbres au milieu desquels quelques points noirs exécutaient des mouvemens affolés ; de temps à autre retentissait un coup de feu ; les comptes se réglaient en général au sabre et à la lance. Par momens, nous passions sur des couches, de sable où les chevaux entraient jusqu’au boulet. C’est à peine alors si l’on apercevait ses voisins. Nous pénétrâmes bientôt dans une forêt de caroubiers assez vaste, mais plus maltraitée encore que celle de Guatraché. Comme nous traversions une clairière, je vois encore confusément se détacher du nuage) ; soulevé par nous un coin de la scène qui s’y déroulait, — deux ou trois sauvages essayant de jouer des boules et serrés de près par les soldats, un prisonnier que l’on garrottait, à terre un cadavre dépouillé de ses vêtemens ; plus loin, quelques sentinelles veillaient d’un air goguenard sur un troupeau de femmes en larmes ; dans le fond, au sommet d’une éminence, un officier lancé à toute bride se retournait à demi pour exciter ses hommes, dont les silhouettes se découpaient une seconde sur le ciel et disparaissaient au revers de la dune comme s’ils s’étaient enfoncés sous terre. C’est à peu près tout ce que j’ai aperçu du combat, si l’affaire peut s’appeler un combat. Peu d’Indiens songèrent à se défendre. Ils étaient ahuris. Leurs derniers bons chevaux avaient été prêtés aux chasseurs. Quelques-uns gagnaient à pied le bois. Il fallut faire une battue pour les avoir. Les femmes se laissaient prendre en sanglotant bruyamment, mais au fond n’étaient pas fâchées de l’aventure ;