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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/178

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au pied, les blanches maisons, les jetées et les petits phares de la Ciotat se reflètent paisiblement dans l’eau transparente avec une vivacité de couleur qui rappelle les phénomènes de mirage les plus intenses des pays orientaux. Dans l’intérieur de la baie, au large, la mer et le ciel, rayés de longues stries horizontales, prennent les mêmes teintes, paraissent se réfléchir et se confondre dans un double azur, et les voiles blanches des petites barques de pêche semblent quelquefois glisser entre deux ciels.

Du côté de la terre, le décor est encore plus grandiose ; les collines, groupées les unes au-dessus des autres suivant une magnifique ordonnance, s’étagent en amphithéâtre, et leurs lignes de faîte se détachent sur le ciel avec une netteté parfaite, comme si on les eût dessinées pour le plaisir des yeux avec le crayon le plus délicat. Ce ciel, cette mer, cet échafaudage de collines, tout cet ensemble noyé dans la lumière produit, à certaines heures du jour, comme un véritable éblouissement. C’est un des plus admirables panoramas du midi de la France ; c’est surtout un véritable paysage de Provence, nature calcaire et lumineuse, roches grises, bleuâtres, quelquefois blanches et dont l’éclat fait ressortir en vigueur la pâle verdure des oliviers et la teinte plus sombre des forêts de pins.

La vie la plus active règne sur la côte occidentale du golfe, dans les eaux de la Ciotat. Les mâts des grands navires, les hautes cheminées des usines, le grondement des forges et l’atmosphère de fumée qui domine la ville indiquent de loin le mouvement des affaires commerciales et l’agitation de la vie industrielle. A l’est, au contraire, tout est calme et silencieux et la nature semble plongée dans un sommeil voisin de la mort. C’est de ce côté que nous prions le voyageur de jeter de loin un coup d’œil, s’il a lu ces lignes et n’en a pas tout à fait perdu le souvenir. Le pays est appauvri et semble avoir conservé la trace de nombreuses dévastations. La végétation s’étiole à mesure qu’on approche du rivage ; une longue bande jaune dessine l’appareil littoral ; les dunes. sablonneuses, incultes, sont à peine recouvertes de quelques touffes d’astragales et de chétives graminées ; la vie semble avoir disparu de cette côte abandonnée. Seul, un petit bois de pins parasols couronne le promontoire à demi ruiné, rappelle les forêts sacrées de la côte rocheuse de l’ancienne Grèce, donne un peu de fraîcheur et comme un parfum de poésie antique à ce rivage brûlé par le soleil.

Cette oasis et ce désert, — c’est Tauroentum.


CHARLES LENTHERIC.